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Pourtant, au bout d’une demi-heure, ils se décident.

À présent, la garnison française est hors de la ville. Elle défile sur la route de Paris, laissant en arrière la suprême espérance de la patrie.

Tout est fini. Tout est perdu !

Soudain un bruit sourd, un grondement continu retentit au loin.

Les captifs, les Alliés tressaillent. C’est le canon qui tonne.

— C’est Lui ! balbutie Espérat.

Le jeune garçon ne se trompe pas. Napoléon pousse devant lui les régiments apeurés de Blücher.

Il rétrécit le cercle de fer dont il les a entourés ; il les conduit vers Soissons, assuré de les écraser entre ses baïonnettes et les remparts de la ville.

Pour lui, l’armée de Silésie n’existe plus. Il va porter le coup mortel à l’invasion ; il va délivrer la France ; il va rejeter au delà du Rhin ces souverains conspirateurs du Tugendbund, qui ont comploté de ramener la patrie aux frontières de la monarchie.

Les officiers d’état-major galopent dans la plaine, chargés de ses ordres. Lu joie du maître se répand, sur eux, illumine leur physionomie.

Quelle est l’idée de l’Empereur ? Ils l’ignorent ; mais à son allure, à son aspect, à son accent, ils devinent qu’un acte décisif se prépare.

Quand, le grand victorieux daigne rire, l’ennemi est perdu.

Les soldats sentent eux-mêmes qu’une grande chose s’accomplit ; l’âme de l’incomparable meneur d’hommes pénètre les combattants, flotte dans la fumée, dans les plis des étendards claquant au vent.

On ne marche plus à la victoire ; on y court, on y vole. Les obstacles sont franchis, les résistances brisées, en apparence sans effort.

Les conscrits égalent les vétérans.

Et l’on avance, l’on avance toujours, refoulant les bataillons prussiens. Là-bas, cette ville que l’on aperçoit au bout de la plaine, c’est Soissons.

Napoléon adresse un salut de la main à la vieille cité, dont les murailles vont voir l’anéantissement de l’armée de Silésie.

Tout à coup une pâleur livide couvre sa face.

Sur les remparts, des canons allongent leurs gueules de bronze… Ces canons viennent de s’empanacher de fumée ; ils crachent des boulets qui tracent des sillons sanglants dans les rangs français.

Ah ! çà, la garnison de la ville est frappée de folie !… Elle ne reconnaît plus les soldats de l’Empereur !

Mais une seconde, une troisième salve retentissent. Plus de doute, Soissons est au pouvoir de l’ennemi !