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et l’on enferme les Français. Encore une chose que je ne comprends pas, M. le gouverneur… pas plus que votre honneur, du reste.

Mais changeant brusquement de ton :

— Que l’on nous jette en prison, cela nous est égal ; mais que la patrie ne souffre pas. Vous avez voulu plaisanter, j’imagine, mon général ; je me suis laissé prendre, j’ai manqué de respect à un brave officier… Punissez-moi, mais gardez la ville… Avant mon arrivée, la capitulation était naturelle, sage ;… vous voyez bien que je suis raisonnable ;… mais après ce que je vous ai appris… La guerre terminée d’un coup… Soissons, clef de toute la combinaison ;… vous ne pouvez pas hésiter… Admettons que le déshonneur s’attache à celui qui renie sa signature… Qu’importe l’honneur d’un homme en regard du salut de la France.

Et Moreau hochant la tête d’un mouvement monotone, entêté, stupide :

— Je vous supplie, général… Par ma bouche, c’est la voix de l’Empereur qui vous parle… S’il était là, lui… Il vous dirait : Mon vieux camarade, la partie suprême se joue à cette heure, des milliers de jeunes gens vont tomber fauchés par la mitraille ;… mais il faut une victime de plus, toi… Pour la patrie, sois infidèle à ta parole.

— L’Empereur ne dirait pas cela.

— Il le dirait.

— Tu mens, petit insensé.

— Ah ! hurla le jeune garçon à bout de patience ;… Si Napoléon t’entendait, misérable, il dirait : Voilà un traître… qu’on le fusille !

Par une étrange intuition, Espérat devinait l’ordre de colère, et aussi de justice, que l’Empereur donnerait le lendemain ; ordre qui ne fut pas exécuté par suite des circonstances. Moreau conserva la vie ; mais sur son nom planera toujours un doute sinistre… La mort violente l’eût peut-être réhabilité.

Cet homme rendu absurde par le destin, était destiné à ne rien concevoir de ce qui se passait autour de lui. Dans l’exclamation déchirante d’Espérat, il ne vit qu’une phrase blessante pour son amour-propre, et appelant un piquet de soldats, il leur intima l’ordre d’appréhender les deux amis.

Ceux-ci, désespérés, envahis par l’anéantissement de ceux en qui sombre l’espérance, se laissèrent entraîner au dehors.

Entre quatre hommes, baïonnette au canon, ils furent conduits sur la place à laquelle aboutit la rue des Cordeliers.

On les poussa dans une maison appartenant alors à un négociant en vins. Cette demeure avait été choisie parce que les soupiraux des caves,