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— Je ne puis agir ainsi.

— Quoi, rugit Milhuitcent, après les explications que je vous ai données ?…

— J’ai engagé ma parole…

— Mais vous perdez la France… Vous arrachez la victoire à l’Empereur.

Moreau secoua la tête en homme qui ne veut pas être convaincu :

— L’Empereur saura bien la ressaisir, sans m’obliger à une action qui jetterait sur ma mémoire une tache ineffaçable.

L’aberration de cet homme, hypnotisé par la crainte de ne pas faire honneur à sa signature, en une situation où l’honneur même lui commandait de n’en tenir aucun compte, bouleversa les messagers.

En une seconde, ils entrevirent les conséquences de l’entêtement du gouverneur, et Espérat, oubliant toute mesure, s’exclama :

— Vous préférez être appelé : traître à la patrie.

À cette insulte sanglante, le visage du général se décolora ; dans ses yeux s’alluma une flamme.

— Vous m’injuriez, je crois, bégaya-t-il les dents serrées.

— J’avance sur l’histoire, voilà tout, riposta le jeune garçon sans baisser les paupières.

— Vous ne songez pas qu’à cette heure encore, je commande seul à Soissons.

— J’y songe…, j’y songe à ce point que je m’étonne de vous voir employer votre autorité, non à garder la ville à l’Empereur, mais à la livrer aux alliés.

— Je vous excuse, vu votre âge… Il est des choses que vous ne comprenez pas.

— C’est vrai… la lâcheté par exemple.

Cette fois, la rage de Moreau éclata :

— C’en est trop !… ces gens qui, sous couleur de message de l’Empereur, se croient autorisés à jeter l’outrage à la face d’un vieux serviteur de la France. Êtes-vous seulement messagers ? Qui me le prouve ?

— Nos conseils, que des amis des alliés ne vous donneraient certes pas.

— Encore ?

— Toujours.

— Prenez garde. Il y a des prisons à Soissons.

La menace n’intimida pas Milhuitcent :

— Ma foi, c’est complet. On ouvre les portes de la ville aux ennemis