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trouvaient bloqués sur une langue de terre de cent pas de long, cernés à la fois par l’eau et par les hommes.

La nuit s’avançait, le jour viendrait bientôt, et alors tout serait perdu. Les soldats se procureraient bien quelque bateau aux environs. Ils aborderaient dans l’îlot… Certes Bobèche, Milhuitcent, ne se laisseraient pas faire prisonniers ; ils lutteraient jusqu’à la mort ; mais leur mission ne serait pas remplie, cette mission à laquelle Napoléon attachait assez d’importance pour la confier au jeune garçon, dont l’ardent dévouement lui était bien connu.

Et si, par suite de leur insuccès, Soissons se rendait. Si la géniale combinaison de l’Empereur était déjouée,… que deviendrait-il lui, le géant couronné, que deviendrait la France ?

Les mains crispées sur son crâne, Espérat se demandait ces choses. L’imagination faisait bouillonner son cerveau, l’amenant à la folle exaspération du désespoir.

— Oh ! dit-il tout à coup, j’arriverai à Soissons, dussé-je y aller à la nage.

Bobèche haussa les épaules :

— À la nage… c’est loin ; puis, au bout de cinq minutes, saisi par le froid, tu serais obligé de gagner le bord, de te rendre à ces gueux d’alliés, à moins que tu ne préfères te laisser couler.

— C’est vrai ! c’est vrai ! Mais alors, que faire ?

— Cherchons !

— Oui… tu as raison, cherchons, cherchons ; il faut que nous trouvions.

Que de solutions folles, de projets abandonnés avant d’être conçus, se confièrent les jeunes gens !

Les heures passaient et aucune idée pratique ne se présentait à leur esprit.

Elle était tombée la colère qui grondait naguère dans le cœur d’Espérat. Un morne silence succédait aux phrases nerveuses qui toutes avaient reçu la même réponse.

— Impossible, pour telle et telle raison.

Le gamin se sentait enchaîne par la fatalité. Ce n’était pas encore le découragement qui le tenait, mais un abattement lourd, annonçant l’approche de la minute où le courage le plus ferme chancelle.

Depuis une demi-heure, les amis n’avaient pas échangé une parole. Assis auprès du canot, la tête enfouie dans leurs mains, ils pressuraient leurs cerveaux lassés, essayant en vain d’en faire jaillir le moyen inconnu de continuer leur route.