Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Espérat, la perche, le bateau se rapprochèrent de quelques centimètres.

— Bravo, fit encore Bobèche, l’appareil fonctionne ; continuons… Nous demanderons le monopole à l’Empereur… Navigation sur terre ; cela fera fureur, il y a si longtemps que les bateaux vont sur l’eau.

Il recommença.

L’attention des Prussiens n’avait pas encore été attirée. De temps à autre, une salve de coups de fusils partait de l’une ou de l’autre rive. Les balles passaient en volées sifflantes dans le taillis, mais rien n’indiquait que la barque « et ses accessoires » (ainsi le pitre désignait l’ensemble formé par la perche et son compagnon) fussent le point de mire des tireurs.

Milhuitcent était à présent sous le couvert, auprès du comédien ; l’embarcation, à demi hors de l’eau, appuyait son avant sur la grève avec la silhouette d’un cétacé échoué.

Le gamin se dressa sur ses pieds :

— Un effort sérieux, dit-il, il s’agit d’amener le canot dans le fourré, sans laisser à ces Prussiens le temps de l’avarier.

Et tous deux s’attelant à l’extrémité de la gaffe, s’élancèrent en avant.

Un long grincement de la quille glissant sur le sable, des exclamations sur les berges, puis une tempête de détonations, se produisirent.

— Trop tard, s’écria Milhuitcent… nous avons réussi.

Puis se rejetant à terre :

— Fais comme moi, Bobèche… et ne bougeons pas. Ils vont se figurer que nous traversons l’île et tireront en avant de nous.

En effet, la fusillade continua à crépiter, mais les projectiles n’arrivaient pas à l’endroit où les fugitifs se tenaient immobiles.

L’enfant avait pressenti le raisonnement des ennemis.

Peu à peu cependant les coups de feu s’espacèrent, se firent rares. Les soldats se lassaient de tirer sur l’îlot boisé, où il leur était impossible de juger de l’effet de leur mousqueterie.

La lune, qui à ce moment ne faisait qu’une courte apparition au-dessus de l’horizon, parcourait sa courbe descendante. Espérat la montra à son ami :

— Quand elle sera couchée, nous nous lèverons.

— Compris.

Et tous deux demeurèrent cois, les yeux fixés sur le disque argenté se mouvant avec lenteur dans le ciel parsemé d’étoiles.

Mais bientôt Bobèche s’agita en grommelant :

— Je gèle ici.

— Il gèle aussi ailleurs, riposta le jeune garçon.