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au-dessus d’eux les projectiles dont les ennemis couvraient l’île, les deux amis tinrent conseil :

— Nous sommes relativement en sûreté, déclara le pitre ; mais en somme notre position ressemble assez à celle de rats dans une souricière.

— Une souricière d’où l’on peut sortir.

— Oui, oui, en tirant la barque de l’eau. Seulement (Voilà, il y a le fâcheux seulement), pour réussir, il faut se montrer à découvert, et ces damnés Prussiens sont si maladroits qu’ils nous « cracheront » certainement un lingot de plomb dans les chairs.

Espérat secoua la tête :

— Non.

— Comment… non ?

— Regarde ce que je tiens à la main.

— La gaffe… ; tu n’as pas lâché la gaffe, et après ?

— Je vais accrocher les crampons dans le bordage ; l’extrémité de la perche atteindra presque la ligne des arbres.

— J’y suis ! Nous halerons le canot sans nous offrir comme cibles à ces affreux coquins.

Sans plus de discours, Milhuitcent, poussant devant lui la gaffe, rampa hors de son abri. Bien que la nuit fût claire, rien ne bougea. Sans doute, les ennemis n’apercevaient pas le jeune garçon aplati contre le sol, semblant faire corps avec lui.

Les crochets de fer s’implantèrent dans la pièce d’avant de l’embarcation ; Espérat, reculant doucement, se trouva allongé, les bras étendus dans le prolongement de la tige de bois. Ainsi ses pieds affleuraient les buissons qui abritaient le comédien.

— Bobèche ! appela-t-il à voix basse.

— Mon vieil Espérat !

— Peux-tu me saisir par les pieds sans te montrer ?

— Oui.

Le gamin sentit deux mains nerveuses se nouer autour de ses chevilles.

— Bien. Je tiens la gaffe, tu me tiens. Tire à toi, tout viendra.

— Parbleu, plaisanta le pitre, si je narrais sur les tréteaux cette façon de haler une chaloupe, les badauds me déclareraient fou à lier, mûr pour les cabanons de Bicêtre.

Mais en même temps il enroulait ses jambes autour du tronc d’un arbre, et s’étant assuré ainsi un point d’appui fixe, il opéra avec les bras une vigoureuse traction.