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Il tendit la main à Milhuitcent, qui la pressa dans les siennes, puis revenant au groupe immobile à quelques pas, il fit ses adieux à Bobèche, à M. Tercelin, à l’abbé Vaneur, donna un ordre bref, et piquant des deux s’élança au galop vers le sud, suivi de son escorte.

Le pitre, le gamin, l’abbé et le maître d’école restèrent seuls sur la route, les yeux fixés sur la petite cohorte qui s’enfonçait dans la nuit.

Il y avait une tristesse dans la séparation. Depuis l’instant où il les avait sauvés à la ferme Éclotte, Lamartine avait été pour eux une sorte d’envoyé de la Providence.

La première alerte passée, il les avait fait sortir de leur cachette, les avait conduits dans sa maison, et, au risque de se compromettre lui-même, il avait décidé que tous quatre se mêleraient à sa suite pour quitter Châtillon dans la nuit. Il retournait en Italie, mais bah ! il effectuerait un crochet afin de conduire ses protégés hors des lignes ennemies.

Plus que cela encore. Espérat, pris de confiance, lui avoua son ennui de s’éloigner de Châtillon sans Mlle  de Rochegaule.

Et Lamartine se rendit en personne au presbytère ; s’il ne ramena pas la jeune fille, c’est que celle-ci lui déclara ne pas vouloir sortir de sa retraite. Elle était en sûreté chez le vieux desservant de l’église du Saint-Voile, pourquoi risquer de nuire à ses défenseurs… ? La présence d’une femme devant naturellement attirer l’attention sur l’escorte du gentilhomme.

Devant cette résolution, force avait été aux hôtes du poète de se résigner. À minuit, tous quatre, mêlés aux serviteurs qui formaient la « maison » de M. de Lamartine, étaient sortis sans encombre de Châtillon. Un laissez-passer, donné par Alexandre de Russie au jeune gentilhomme, et que celui-ci présentait à toute réquisition des postes ou des patrouilles disséminés sur le chemin, aplanit les obstacles.

Ainsi on avait traversé le pays occupé par l’armée de Bohème. Puis les soldats de l’étranger étaient restés en arrière, et sur la route libre maintenant, la petite troupe avait pu filer bon train.

— Un digne seigneur, fit enfin Bobèche quand le groupe de cavaliers eut disparu.

— Oui, murmura Milhuitcent. Pourquoi les royalistes ne sont-ils pas tous ainsi ; Français d’abord ?

Mais l’abbé Vaneur interrompit les réflexions des deux amis :

— Gagnons Tonnerre. Après les émotions de la journée nous avons besoin de repos. Demain, il y aura une longue route à parcourir, vous pour atteindre Troyes ; nous pour retourner vers l’Argonne.

— Quoi, Monsieur le curé, vous voulez… ?