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CHAPITRE VIII

Où Espérat se demande s’il est bien lui


Deux heures du matin.

Un groupe de cavaliers parcourt la route qui, par Laignes et Crozy, relie Châtillon à la ville de Tonnerre.

Un élégant gentilhomme tient la tête de la petite troupe. Il s’arrête et ceux qui le suivent font de même.

Il esquisse un geste d’appel.

Aussitôt l’un des cavaliers sort du peloton, vient à lui.

— M. de Lamartine, dit-il, vous m’avez appelé, je crois.

— Oui, Espérat, oui, mon brave enfant. C’est en ce point que nos routes vont se séparer. Tonnerre est là, en avant de nous. De ce point, il te sera facile, ainsi qu’à tes amis, de regagner Troyes.

— Comment vous remercierai-je jamais ?

— En te souvenant de moi comme d’un Français qui, enrôlé parmi les envahisseurs, n’a jamais fait la guerre à la France.

— Oh ! cela j’en suis sûr.

Le jeune garçon se prépara à mettre pied à terre.

— Que fais-tu, demanda le futur poète ?

— Je quitte le cheval que vous m’avez prêté.

— Garde-le. Il te permettra d’arriver plus vite au terme de ton voyage.

Et arrêtant les paroles de gratitude qui s’échappaient des lèvres de son interlocuteur :

— Au revoir, Espérat, au revoir ; va, tu es plus heureux que moi… ; tu crois en l’étoile de Napoléon, et tu peux ainsi rejoindre la dernière armée française.

Mais secouant la tête pour chasser la pensée importune.

— Allons… je ne veux pas te retarder davantage…