Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/25

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peine que la mignonne avait dû prendre « à la lettre » les paroles de M. Vaneur, dont « l’esprit » lui échappait.

Il eut l’intuition rapide que l’événement était une répercussion des malheurs dont la France sentait alors la menace, et retrouvant soudain toute sa décision :

— Où est mon père ?… où est M. le curé ? demanda-t-il.

Du geste, Emmie indiqua une porte à droite du couloir.

— Dans la classe ?

Elle fit oui de la tête.

— Je vais voir.

Et il pénétra dans la salle d’école.

Des bancs, des tables étroites, dans un angle un tableau noir. En face de l’entrée, la chaire du maître, sorte de caisse de bois noirci posée sur une estrade élevée de la hauteur d’une marche.

Et debout près de ce dernier meuble, deux hommes, maniant un vieux fusil. Voilà le tableau qu’Espérat embrassa d’un coup d’œil.

Ses deux professeurs étaient devant lui. M. Tercelin, maigre, sec, la face brune sous une toison grisonnante, avec sa grande redingote de ratine, sa culotte de même étoffe, ses bas noirs, ses souliers à grosses boucles de cuivre ; l’abbé Vaneur grand, athlétique sous sa soutane, la face pleine, colorée, qu’auréolaient les cheveux blancs.

Au bruit, tous deux se retournèrent, et d’une voix où vibrait une émotion inaccoutumée, ils dirent :

— Espérât… c’est toi, mon enfant.

Le gamin les considéra une seconde, sentant son appréhension redoubler, puis lentement :

— Bonsoir, père… Bonsoir, Monsieur le curé…

Il n’acheva pas, M. Tercelin l’avait enlacé de ses bras et le serrait contre sa poitrine avec une sorte de sanglot intérieur.

— Espérat, j’ai à te parler…

— Moi aussi, père.

Et se dégageant doucement :

— Seulement il faut d’abord que je vous rende mes comptes… — ce disant, le jeune garçon tirait de sa poche une grosse bourse de cuir et la posait sur la chaire. — J’ai vendu mes six poulets à Saint-Dizier, dix francs. J’ai dépensé deux sous de pain pour déjeuner, et huit sous de raisiné pour Emmie.

— Pauvre petite, soupirèrent les deux hommes.

L’enfant les regarda encore et doucement :