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te… non, vous fâcher contre moi. Je suis tout troublé quand tu… encore, satané tu ?… quand vous pleurez.

La bambine daigna sourire à travers ses larmes et vraiment très digne :

— Je donne le pardon, ami de moi… parce que c’est vous-même… si la culpabilité venait d’un autre, je ne donnerais pas.

— Alors, prends le raisiné.

Espérat s’appliqua une calotte sur le crâne…

— Non, non, non… c’est lapsus linguæ… une erreur de la langue, comme disait Cicéron à qui il arrivait d’en commettre, bien qu’il fût un grand orateur… Je voulais prononcer : Prenez le raisiné.

Elle secoua la tête, encore que ses regards se fixassent avec une vague convoitise sur le récipient grossier qui enfermait la friandise annoncée.

— Le raisiné ne consolerait pas mon cœur.

Du coup, Espérat posa le pot à terre, et se rapprochant de la fillette, il la prit dans ses bras, murmurant d’une voix anxieuse :

— Voyons, Mie, qu’y a-t-il ?

Elle se remit à pleurer :

— Je dois demain prendre la diligence pour Paris.

— Demain ?…

Et avec un cri :

— Ton… votre tuteur vous rappelle ?

— Non, ce n’est point cela.

— Alors, pourquoi partir ?

Avec un redoublement de sanglots, elle dit :

— C’est M. Tercelin…

— Mon père adoptif ?

— Oui, lui… il est méchant… il veut que je fasse mon départ… et le curé trouve cela très bien.

— Le curé… M. Vaneur ?

— Oui il a raconté des choses pas claires du tout. C’est Dieu, c’est l’Empereur qui veulent me voir rentrer dans Paris…

— Dieu, l’Empereur, répéta le gamin abasourdi ?

— Oui, vous comprenez, je ne crois pas cela…, j’aime le bon Dieu… je fais prière tous les jours, vous aimez l’Empereur. Alors ils ne peuvent pas vouloir nous désoler… C’est bien sûr des menteries… Seulement le curé, il cause avec Dieu… tandis que moi, je ne sais pas où il demeure le bon Dieu…, et alors je ne peux pas savoir, et j’ai du chagrin.

Le raisonnement naïf de la fillette faisait battre le cœur d’Espérat ; mais le cerveau du jeune garçon, plus sérieux, plus meublé, discerna sans