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Et comme le négociant s’avançait prudemment, portant ainsi qu’une châsse un pot de faïence blanche, Milhuitcent reprit :

— On jurerait que vous avez peur.

— Peur, non, monsieur Espérat, seulement je craignais…

— Vous aviez tort, Buzaguet…

Ce disant, l’adolescent prit le pot, souleva le papier jaune dont il était recouvert, trempa sans façon l’index de sa main droite dans le raisiné, le porta à sa bouche, cligna des yeux, fit claquer sa langue, et d’un ton de fin connaisseur :

— Il est bon.

La face grasse de l’épicier s’épanouit.

— Alors vous n’êtes plus fâché ?

— Contre vous, jamais…

— Pourtant tout à l’heure ; j’ai cru que vous alliez me… manquer de respect.

L’adolescent se prit à rire :

— Si vous aviez jamais à l’avenir de ces idées-là, Buzaguet, songez au Capitole.

— Le Capitole ?

— Vous ne connaissez pas. Le Capitole était la citadelle de Rome.

— Vraiment ?

— Or, un jour que la forteresse était sur le point d’être surprise par une attaque de nuit, devinez qui donna l’alarme et permit à la garnison de repousser les assaillants ?

Le négociant se gratta la tête :

— Je donne ma langue aux chiens… je ne connais rien à l’histoire romaine.

Et il ajouta stupidement, avec une réjouissante prétention à la finesse :

— Vous comprenez, la romaine, une salade ; c’est de la fruiterie, et je suis épicier.

— Eh bien, Buzaguet, l’éveil fut donné…

— Par ?

— Par des oies de la basse-cour du Capitole.

Avec conviction, le débitant s’écria :

— Les braves volailles !

Le jeune homme s’inclina :