CHAPITRE XXI
Saint-Dizier
— Allez, M. de Rochegaule, avait dit Napoléon.
Et stupéfait, chancelant, s’appuyant au dossier d’une chaise pour ne pas tomber, Espérat avait répété :
— Rochegaule, le comte de Rochegaule !
Chose étrange, le vieux gentilhomme que rien ne semblait capable d’émouvoir, était devenu atrocement pâle. On eût dit que tout son sang avait reflué vers son cœur.
L’Empereur regardait l’homme et l’enfant.
Soudain, il se rapprocha de ce dernier, le prit par les épaules, le contraignit à s’asseoir, puis revenant au comte :
— Qu’avez-vous, capitaine ?
Le vieillard parut sortir d’un songe :
— Quel est ce jeune homme, fit-il d’une voix sourde ?
— Un de mes amis fidèles.
— Son nom ?
— Espérat Milhuitcent.
— Ah !
Le comte se passa la main sur le front, et comme l’Empereur, intrigué par son attitude, demandait :
— Pourquoi ces questions ?
Le vieillard murmura comme s’il n’avait pas entendu :
— Oh ! ce visage ! ces yeux !… La terre les devait recouvrir pour toujours… et je les revois, je les revois !
Puis tristement :
— Pardonnez-moi. Sire… La vue de ce jeune homme m’a rappelé une personne chère, plus heureuse que moi, car Dieu l’a rappelée à lui.