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— Les princes français avaient autrefois une bouche française, fit amèrement la jeune fille.

— C’est pour cette raison que celui-là emprunte la mienne, Mademoiselle. Ennemi de Napoléon, j’aime la France et je souhaite son bonheur.

— Si vous le souhaitez vraiment, Sire, ordonnez à vos troupes de repasser la frontière.

Alexandre eut un geste d’impatience, mais s’apaisant aussitôt :

— Les mystères de la politique ne sont pas familiers aux jeunes filles, je le conçois. Je passe donc à l’objet de l’audience présente.

Et lentement :

— Déjà, au château de Rochegaule, un émissaire du futur roi de France a eu l’honneur de demander votre main.

Elle fit oui de la tête.

— Vous avez refusé.

— Oui.

— Cependant, on ne vous a pas caché le but de l’union projetée.

— C’est pour cela surtout que j’ai refusé.

— Quoi ? vous ne voulez pas contribuer à la rentrée du roi légitime ?

— Pas ainsi, non.

— On vous disait cependant fervente royaliste.

— Je l’étais.

— Auriez-vous cessé de l’être ?

— Oui.

— Pourquoi ce changement ?

Lucile eut un rire douloureux :

— Pourquoi… c’est insensé sans doute ; … mais un prince qui se joue de l’honneur de ses sujets, un prince dont les fourgons suivent les armées d’invasion, me paraît pouvoir être roi partout, sauf dans le pays envahi.

Un murmure menaçant s’éleva dans l’entourage du Czar. Celui-ci l’apaisa du geste :

— Discuter pareille affirmation serait inutile. Patriote farouche, égarée par un sentiment honorable poussé à l’extrême, vous êtes injuste, Mademoiselle. Aussi m’adresserai-je à votre cœur seulement.

Elle eut un triste sourire :

— Mon cœur est d’accord avec ma raison.

— Souverain maître des Russies, poursuivit Alexandre sans tenir compte de l’interruption, je ne veux pas me souvenir de mon rang. C’est un