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Le nom du comte Pozzo di Borgho, secrétaire intime d’Alexandre, de ce Corse ennemi de Napoléon et de la France, l’avait frappé au cœur.

La jeune fille, dont cet homme venait de parler, Marc n’en douta pas une seconde, c’était Lucile, Lucile que l’on voulait contraindre à épouser Enrik Bilmsen ; parbleu… la chose était claire.

Mais comment cela constituerait-il une victoire sur Napoléon ?

— L’obliger à se marier, reprit cependant Alexandre, l’œuvre est-elle bien digne d’un souverain ?

— Le triomphe des peuples doit avoir le pas sur les idées d’une enfant, riposta Pozzo di Borgho.

— Sans doute, comte, sans doute…

— Au surplus, Votre Majesté se bornera à exprimer son désir de voir cette union s’accomplir…, et si Mlle de Rochegaule reste indifférente à un tel honneur…

— Qu’adviendra-t-il ?

— Votre Majesté ignorera par quels moyens son dévoué secrétaire amènera la rebelle à se sacrifier, en faveur de la Sainte-Alliance des nations contre l’Attila moderne.

Nonchalamment le Czar s’éventa de son mouchoir :

— J’ignorerai… j’ignorerai… Maître des Russies, je dois ignorer, oui… ; mais gentilhomme, le premier gentilhomme de mon empire, j’éprouve une répulsion invincible pour ce que je semblerai ne pas savoir, bien que je l’aie deviné de suite.

Le roi de Prusse intervint vivement :

— Mon frère Alexandre, la coopération énergique de l’Autriche est le prix de votre neutralité dans cette affaire.

— Je pense à cela, mon frère Frédéric-Guillaume.

— Hésiter serait condamner des centaines de mille hommes à tomber encore sur les champs de bataille, imposer à nos pays déjà si éprouvés de nouveaux sacrifices. Le sacrifice exigé d’une seule peut-il entrer en comparaison avec de tels malheurs ?

Le Czar baissa la tête. Comme toujours, il venait de mettre sa voix au service de la générosité, des pensées chevaleresques. Comme toujours, il était réduit au silence par les âpres ambitions qui l’entouraient.

Noble de caractère, mais hésitant, le Czar souffrait d’être le chef de la coalition ; mais sa vanité, exaspérée par les adulations de ses alliés, ne lui permettait pas de leur résister.

Son mauvais génie, le comte di Borgho, connaissait bien ses luttes intérieures. Plus d’une fois, il l’avait entendu dire :