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celle que vous méritez, monsieur le vicomte dont je ne sais pas le nom ; je puis vous en donner un qui effacera toutes vos insultes… Vous êtes le vicomte… Trahison !

— Morbleu !

Fouetté par l’injure, l’interlocuteur d’Espérat fit mine de se ruer sur lui, mais son compagnon le retint par le bras et chuchota rapidement à son oreille :

— Prenez garde de sacrifier notre mission à un moment d’emportement.

Ces paroles suffirent. Le vicomte se contraignit au calme, et son interlocuteur ajoutant :

— Je vais parler à cet enragé gamin.

Il répondit :

— Faites.

Le baron profita aussitôt de la permission, et avec cette exquise ironie des hommes de cour :

— Messire Espérat, dit-il, enfant trouvé, vous êtes réputé gentilhomme, vous avez eu raison de l’affirmer. Vous pouvez être marquis, duc… prince même, nul titre ne m’apparaît vous être supérieur ; aussi n’hésité-je pas à vous adresser une question. Croyez-vous digne d’un fils de la noblesse de livrer des hommes nobles dont il a surpris la conversation ?

L’interrogation était adroite. En quelques mots, le royaliste avait retourné la situation, contraignant l’esprit de l’adolescent à passer de l’idée de vengeance à celle de la complicité du silence.

Un instant, le jeune garçon ferma les yeux comme pour regarder en lui-même, puis prenant son parti :

— J’entends ce que vous me demandez, monsieur le baron. Je me tairai, non parce que je puis être gentilhomme… cela m’est bien égal ; mais parce que votre ami s’est trompé lorsqu’il a annoncé la défaite possible de l’Empereur.

Et s’animant par degrés :

— Il n’a plus d’armée, disait-il. La France n’a plus d’hommes à enrôler dans ses légions… soit… alors elle lui donnera ses enfants, ses morveux comme moi, et les gamins de France, avec Lui, repousseront les envahisseurs.

Espérat était beau en parlant ainsi. Tout son être exprimait le désir ardent de l’héroïque sacrifice.

Le baron fut frappé de la vaillance de cet enfant, et obéissant à un mouvement irraisonné, il fit un pas vers lui, les mains tendues :