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— Ah ! prends garde. Il est dangereux de se moquer de nous en pleine forêt…

— Pourquoi ?

— Parce que les arbres ne manquent pas.

Espérat sourit dédaigneusement :

— Je comprends… Une grosse branche, un bout de corde…

— Autour du cou, mon garçon… ; rien ne vaut cela pour délier les langues trop discrètes.

— Ah bien ! s’écria l’enfant, voilà bien la première fois que j’entends proclamer la pendaison mère de l’éloquence.

Et avec une gracieuse révérence :

— Il me tarde de savoir si vous ferez un discours le jour où vous serez pendu.

La main du marquis se crispa sur la poignée de son sabre :

— Manant, … sache que la corde ne convient pas à un gentilhomme.

— Bah ! un gentilhomme a le cou d’un homme, et au bout d’une branche, il ne pèse pas plus qu’un croquant.

Peut-être M. d’Armaillé eût-il fait repentir Espérat de sa plaisanterie, mais son compagnon intervint :

— Voyons, marquis, tu ne vas point prendre au sérieux ce jeune drôle. Moi, il m’amuse.

— Parbleu ! ton cou n’est pas en cause.

— Le tien non plus. Tu le menaces de la corde ; il riposte, voilà tout. Sachons nous accoutumer à pareille aventure. Il y a eu une révolution en France… et si la noblesse veut la diriger, elle doit la comprendre…

— La comprendre…, baron…, comprendre un peuple rebelle qui a frappé son roi.

— Que veux-tu… Les gens bien informes prétendent que le peuple avait commencé par supporter longtemps les coups.

Mais se tournant vers le prisonnier :

— Laissons cela. L’heure n’est point aux discussions philosophiques. Vous vous rendez auprès du vicomte d’Artin, mon ami. Vous êtes libre de continuer votre chemin.

Et se levant, il appuya sa main gantée sur l’épaule de l’enfant :

— Seulement, mon jeune brave, ne vous laissez pas emporter par votre désir d’avoir le dernier mot… Il se rencontre des esprits quinteux qui vous priveraient de la parole — il eut le geste expressif de passer une corde au cou, avant d’achever avec un clignement d’yeux d’intelligence…