Buzaguet vexé essaya de protester :
— Permettez, fit-il.
Brusquement Espérat lui coupa la parole :
— Rien… épicier !
Et avec un ton impossible à rendre :
— Un pot de raisiné de huit sols… va le chercher, Buzaguet.
— Pardon… vous dites ? balbutia le négociant bouleversé.
— Je dis : va le chercher de suite… et du meilleur, tu sais… : c’est pour Emmie.
L’ordre était sans réplique, et le commerçant, dominé, se glissa, l’échine basse, dans le compartiment de l’épicerie.
Les visiteurs avaient assisté en silence à cette petite scène, mais leur attitude était bien différente.
Le baron souriait, approuvant du geste ; tandis que le vicomte, dont les joues s’étaient brusquement décolorées, considérait Espérat avec un mélange de colère et de terreur.
— Espérat Milhuitcent, fit-il si bas que son compagnon ne put l’entendre… à quelle date vient la Saint-Espérat ?
Et la porte vitrée s’étant refermée sur Buzaguet, comme l’adolescent revenait vers les royalistes, le vicomte demanda d’une voix sourde :
— Espérat… à quel moment célèbre-t-on cette fête ?
— 17 juillet,… vous n’avez pas l’intention de me la souhaiter, je pense.
L’interpellé ne répondit pas. Sa pâleur s’était encore accentuée, et ses yeux semblaient ne pouvoir se détacher du visage du gamin.
Celui-ci attendit un instant, puis voyant qu’aucune réplique ne venait, il haussa philosophiquement les épaules et avec une gravité qui assombrissait son jeune visage :
— Çà, Messieurs, dit-il, nous conspirons donc contre l’Empereur ?
Le vicomte grinça des dents :
— Drôle ! commença-t-il.
— Oh ! vous ne l’êtes pas drôle, vous, fit imperturbablement Espérat. J’ai entendu votre récit… je sais la façon dont vous et les vôtres avez fait couler tout le sang de la France, sans doute pour lui inculquer l’amour de… ce bon roi, que vous prétendez ramener à la faveur de l’invasion étrangère.
— Faquin ! gronda le gentilhomme.
Le gamin fit entendre un rire nerveux :
— Ne vous épuisez pas en épithètes malsonnantes, nulle ne vaut