Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Marmont, Kellermann, Berthier s’échauffaient au souffle de Napoléon. Seul Ney demeurait sombre, pris par cette tristesse intérieure qui devait le rendre flottant, hésitant, jusqu’à l’heure tragique de sa mort.

Ney subissait les premières atteintes d’une maladie vieille comme le monde, que la science moderne a baptisée du nom de neurasthénie.

Et Napoléon continuait. Maintenant il indiquait la carte toujours étalée sur la table. Sa main traçait la marche certaine des ennemis : Blücher par la Marne, Schwarzenberg par la Seine… Et lui, avec ses maréchaux, au milieu, prêt à tomber sur les Alliés divisés, à les écraser en détail.

— D’une part, toi, Kellermann, mon brave duc de Valmy, tu vas partir, avec les détachements qui se sont repliés sur Châlons, sauf les dépôts que tu renverras à Paris, où ils formeront des régiments de réserve ; tu lèveras partout des gardes nationales et tu barricaderas les bourgs, les villes, ayant des ponts sur la Marne. Je vais enjoindre à Macdonald de s’arrêter à Châlons pour t’aider. Pajol, avec sa cavalerie et ses gardes nationaux, opérera de même sur la Seine et couvrira l’Yonne.

Le visage du grand capitaine rayonnait :

— Entre ces lignes de la Seine et de la Marne, se trouve une ligne intermédiaire, celle de l’Aube, qui multiplie les difficultés de l’attaque et les moyens de la défense. Amenés tantôt par choix, tantôt par nécessité à se partager entre ces rivières que nous occuperons exclusivement, nos adversaires nous fourniront mille occasions de les battre si nous savons en profiter. Pendant ce temps les troupes d’Espagne, de l’intérieur, arriveront. Les populations, ranimées par le succès, reprendront courage. Augereau avec les forces qu’il réunit à Lyon, remontera de cette ville vers Besançon. Les commandants de nos places assiégées exécuteront de fréquentes sorties. Nous aurons sûrement quelque bonne et glorieuse journée. Et Caulaincourt, que j’ai envoyé négocier de la paix, pourra la traiter de façon honorable.

Il conclut enfin :

— Tout n’est donc pas perdu. La guerre présente tant de chances pour celui qui sait persévérer. Sont seuls vaincus ceux qui consentent à l’être. Sans doute, nous aurons des jours difficiles ; nous devrons parfois nous battre un contre trois, un contre quatre… mais nous l’avons fait dans notre jeunesse, cela doit nous encourager à le faire dans notre âge mûr. D’ailleurs, si le nombre de nos fusils est un peu maigre, il n’en est pas ainsi de nos canons. Notre artillerie est excellente et les boulets valent bien les balles. Après avoir eu toutes les gloires, il nous en reste une à acquérir qui complète et surpasse toutes les autres, celle de résister à la mauvaise fortune et d’en triompher. Un dernier effort, après lequel on se reposera