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dispositions hostiles des habitants s’évanouirent. Le vainqueur du monde venait de reconquérir le cœur d’une poignée de Français.

Comme il quittait les fonctionnaires municipaux, l’Empereur vit accourir vers lui plusieurs de ses généraux, avertis à l’instant de sa présence.

C’étaient : Berthier, prince de Wagram ; le vieux général de division Kellermann, duc de Valmy ; Marmont, duc de Raguse ; Ney, duc d’Elchingen, prince de la Moskowa. Ils arrivaient, les uns déconcertés par leur retraite devant les troupes alliées, les autres pris de doute à la vue de l’invasion s’étendant sur la France. Napoléon leur sourit.

— Dans vingt minutes, chez moi, leur dit-il.

— Où est-ce chez vous ? demanda Kellermann.

— La dernière maison de la ville sur la route de Vitry à Saint-Dizier.

Un officier, en effet, parti en avant, avait préparé un logis à Napoléon dans l’habitation désignée, qui appartenait à une veuve du nom de Lavinaise.

C’est là que, seul, l’Empereur se rendit après avoir congédié sa suite.

La veuve Lavinaise le reçut toute bouleversée de l’honneur dont sa maison était l’objet.

— Eh bien, ma bonne femme, lui dit-il gaiement, y a-t-il une chambre où je puisse travailler quelques heures sans être dérangé ?

Elle bredouilla :

— Deux pièces et une cuisine au rez-de-chaussée, deux salles au premier… Voici les clefs… je logerai chez une voisine.

Mais il refusa :

— Vous chasser de chez vous, ma pauvre amie. Non, non, je ne suis pas un soldat étranger. Général de France, les Français sont chez eux, là où je suis. Partageons, voulez-vous. Le premier étage pour vous, le rez-de-chaussée pour moi.

Et comme la veuve s’embarrassait dans des phrases de remerciement.

— Allons, c’est entendu. Rentrez chez vous, ma commère ; sans cela les royalistes interpréteraient à mal notre tête-à-tête.

Puis gravement :

— Seulement, après la guerre…, venez aux Tuileries… L’empereur vous rendra l’hospitalité que vous accordez aujourd’hui au général — il hésita une seconde et acheva — Bonaparte.

L’hôtesse s’empressa de se retirer, mais durant de longues années, elle devait raconter, avec des larmes dans les yeux, la visite de Napoléon, qui lui avait parlé, disait-elle, comme un brave homme, franc du collier.

La porte refermée sur elle, l’Empereur embrassa d’un rapide coup d’œil les deux petites pièces mises à sa disposition, les meubles simples de noyer,