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dard fleurdelisé du roi. Ce drapeau, il l’avait raillé bien souvent, l’appelant manteau d’Arlequin, avec ses bandes multicolores. Maintenant, il demeurait saisi, le cœur étreint par une invincible émotion devant ce bleu, ce blanc, ce rouge, qui allait flotter, dans la fumée de la poudre, au-dessus de la tête des soldats mourant pour la défense du sol natal.

Le manteau d’Arlequin signifiait à présent : Indépendance  !

Il représentait la patrie. Il devenait l’emblème auguste et sacré, que devaient suivre tous les fils de France pour refouler l’invasion.

L’invasion !

Mot terrible qui brûle les lèvres lorsqu’elles le prononcent.

L’invasion, c’est-à-dire le soldat étranger foulant le sol natal, organisant avec discipline le brigandage.

L’invasion… les Russes qui, tout à l’heure avaient déshonoré sa demeure, arraché sa fille de ses bras, arraché ses fils de son cœur !

Le comte se dressa debout, les mains crispées sur sa carabine. Comme se parlant à lui-même, il dit :

— Plus de roi, c’est vrai… mais un empereur.

Auprès de la cheminée, un cordon de sonnette se dissimulait sous une bande de velours brodé. M. de Rochegaule sonna.

— L’empereur, reprit-il… au moins c’est un général français.

Il sonna de nouveau, mais comme la première fois, personne ne répondit à l’appel de la sonnette.

Le vieillard eut un geste insouciant :

— Les Russes ont sans doute enfermé les domestiques pour les empêcher de me secourir.

Alors il se mit à parcourir le château. Il ne s’était pas trompé, les laquais étaient dans le sous-sol. Il les délivra, et arrêtant leurs démonstrations de gratitude, il s’adressa à l’un d’eux :

— Pascal, selle mon cheval… tu lui mettras le harnais de guerre, les pistolets dans les fontes.

— M. le comte part…

— Oui, mais hâte-toi.

— Faudra-t-il accompagner Monsieur le comte ?

— Non, je pars seul.

Et doucement :

— Mes amis, vous vous rendrez à Saint-Dizier, chez mon notaire. Vous lui remettrez la lettre que je vais écrire. À chacun de vous, il comptera cent napoléons.

— Cent napoléons, répétèrent les assistants, moins surpris peut-