— C’est l’ordre du Czar Alexandre.
— Alexandre n’a pu confier à un gentilhomme le soin de déshonorer sa propre race, de marquer notre blason de la tare de félonie de ceux qui trahissent leurs hôtes, qui avilissent leurs filles.
— C’est l’ordre du Roi.
— Quel roi oserait salir sa couronne en de pareilles hontes ?
— Louis XVIII.
— Vous mentez.
Le vicomte, sans rien perdre de son flegme, tira un parchemin de sa poche, et le plaçant à hauteur des yeux de son père :
— Lisez… Lettre autographe de Sa Majesté, qui daigne exprimer le désir de voir bientôt Mlle Rochegaule unie à Enrik Bilmsen, assurant de sa faveur ceux qui auront amené le triomphe de sa cause.
— Le roi, s’exclama Vidal d’une voix étranglée par la stupéfaction ?
— Le roi, sanglota Lucile.
— Le roi, répéta le vieillard d’un ton sombre. Le roi ?… Qu’il soit maudit alors.
— Oh ! Monsieur le comte, souvenez-vous que vous êtes son sujet…
— Sujet, oui… esclave, non. Notre sang, notre fortune sont au roi, mais notre honneur est à nous seuls… Maudit soit le roi qui me vole mon seul bien.
Et avec une colère croissante :
— Et l’autre, l’autre que l’on appelle l’Usurpateur… À ceux qui le servent, il donne gloire, honneur… La France a donc bien fait de le choisir, puisqu’il a cette vertu royale de ne demander à ses fidèles que leur sang.
Comme pris par une sorte de terreur :
— Vous êtes égaré… d’Artin, revenez à vous… même sur l’ordre du roi, un fils ne déshonore pas son père.
Le vicomte fit un signe, les soldats entraînèrent Lucile et Marc Vidal.
Le vieillard tenta de s’élancer à leur secours, mais la main brutale de ses gardiens le cloua sur son siège.
Il eut un rugissement de lion pris au piège, et terrible dans son impuissance :
— Un larron d’honneur ne saurait être du sang des Rochegaule… Le vicomte d’Artin n’est plus mon fils.
Et son attention appelée par un sanglot d’Henry de Mirel :
— Henry, clama-t-il, je n’ai plus que toi. Viens pleurer avec ton père…, ton père devenu faible comme une femme, ton père qui ne peut sauvegarder notre honneur.