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ainsi qu’un glas aux oreilles de l’enfant, ce plan a été suivi scrupuleusement. L’empereur Alexandre de Russie a accepté la guerre avec Napoléon. Ci : campagne de 1812, Smolensk incendié, Moscou brûlé, non par les agents de Rostopchine comme le peuple le croit, mais par les affiliés du Tugendbund. Résultat : 348.000 soldats français ensevelis sous la neige.

Espérât ne faisait aucun mouvement. Livide, les yeux troubles, il écoutait ce funèbre chant de victoire de l’Europe assassinant la France.

— Campagne de 1813, reprenait impitoyablement l’interlocuteur de l’épicier. Déjà il est difficile de recruter des combattants. On prend des conscrits atteints de légères infirmités qui les eussent fait réformer les années précédentes. Ces troupes sont écrasées à Leipsick. Total : 300.000 hommes tués, dispersés, hors d’état de nuire.

Et après un lourd silence.

— Aujourd’hui, Napoléon est à Paris. Il essaie vainement de rassembler une armée. La France est à bout de forces. Et sur le Rhin des nuées d’ennemis sont prêtes à fondre sur elle. Je ne m’occupe pas des troupes d’Italie et d’Espagne. Le sort de la campagne dépend uniquement des succès des deux armées de l’Est. L’armée de Bohême, commandée par le prince de Schwarzemberg, avec Bulma, Coloredo, Maurice Lichtenstein et leurs régiments autrichiens, qui entreront en France de Genève à Pontarlier ; Giulay, par Montbéliard ; le maréchal de Wrède et ses contingents bavarois, wurtembergeois, par Huningue, Belfort, Colmar ; les gardes russe et prussienne sont en réserve à Bâle, autour des souverains alliés ; l’armée de Silésie, sous les ordres du maréchal Blücher, va franchir le Rhin à Mayence, Manheim, Coblenlz. Bernadotte, ancien général de l’usurpateur, devenu roi de Suède, arrive à marches forcées avec 100.000 hommes. C’est la marée qui monte, qui va submerger l’Empire et ramener le roi Louis XVIII sur le trône de ses pères.

Et d’un ton joyeux contrastant avec le lugubre tableau qu’il venait de tracer, le vicomte cria en sourdine :

— Vive le Roi !

Du coup, Espérat ne se contint plus. D’un bond furieux, il fut à la porte de la draperie, repoussant le battant vitré avec violence, se dressa sur le seuil, hagard, éperdu, et d’une voix terrible cracha à la face des interlocuteurs un rauque et rugissant :

— Vive l’Empereur !

Il y eut un instant de stupeur.

Trois hommes étaient là… d’abord Buzaguet, petit, replet, la face grasse et blême, les cheveux grisonnant sous une calotte de soie, l’ab-