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Saint-Dizier, au cœur du pays… Il m’a écouté cependant… ; il m’a permis de venir ici… ; il a eu pitié de ma tendresse… Il est bon comme Dieu… Pour ne pas l’aimer, il faut ne pas le connaître.

Il se tut soudain. Marion Pandin revenait :

— M. le comte attend M. Marc Vidal dans le grand salon.

Le capitaine s’inclina, attacha la bride de son cheval à l’un des barreaux de la grille et se dirigea vers le château.

Cinq minutes plus tard, il parvenait à la terrasse où un laquais, portant un flambeau, l’attendait. Le serviteur marcha devant lui sans une parole, ouvrit une porte fenêtre en s’effaçant, annonça :

— M. le capitaine Marc Vidal !

L’officier entra, mais sur le seuil il s’arrêta stupéfait le cœur bondissant dans sa poitrine.

Au milieu du salon Louis XVI qu’il dépeignait naguère à Espérat, sous la clarté des bougies scintillant dans les candélabres, le comte de Rochegaule, avec son visage sévère, auquel les cheveux blancs formaient une auréole d’argent, se tenait debout…, et près de lui, les paupières baissées, était sa fille Lucile.

Marc eut comme un éblouissement. Elle était belle, au delà de tout ce qu’il avait pu dire, alors qu’il épanchait son âme dans celle de son jeune ami, belle de cette beauté chaste, sereine, à qui le respect va sans effort, belle avec bonté.

Tout en elle respirait la loyauté, tout décelait une de ces natures d’élite faites pour l’honneur, pour le devoir, pour le dévouement.

Grande, élancée, les traits fiers et doux, serrée en une robe de couleur sombre, elle restait sans mouvement, et sa jeunesse semblait emplir le salon d’un rayonnement. Pourtant elle avait changé, — Vidal le constata ; — les roses de ses joues avaient pâli, une teinte de mélancolie assombrissait son visage.

Et comme l’officier la considérait, étreint par une angoisse qu’il ne pouvait dissimuler, le comte de Rochegaule prononça lentement :

— Monsieur Marc Vidal, je vous salue.

Le jeune homme tressaillit, ramené par ces paroles au sentiment de la réalité :

— Pardonnez-moi, Monsieur le comte, de m’être laissé prévenir par vous.