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tiæ… C’est une histoire, vois-tu… et les histoires donnent soif… Cependant je parlerai… Car tu es aimable… tu es agréable à voir comme un cep de vigne chargé de grappes… je parlerai. Passe-moi la cruche, vase d’éloquence, vas eloquentiæ, fons ciceronica, source cicéronienne.

Puis après une tendre accolade au broc, il reprit d’une voix pâteuse :

— En 1807, j’étais un pauvre pope, desservant le village d’Orslaïef, près de Saint-Pétersbourg. Pour boisson : de la bière d’orge, du schnaps vulgaire… Je les buvais par esprit de pénitence, espérant arriver à la rémission de mes fautes… Mais le Seigneur veillait sur moi… Un Français émigré, résidant à Orslaïef m’avait enseigné sa langue, la seule digne d’un franc buveur, la seule propre à définir les mérites nuancés du sang de la vigne.

Ivan respira :

— Tu ne bois pas, mon fils ?

— Non, pope, j’écoute, ta voix me réjouit plus que le vin.

— Plus que le vin, murmura le Russe d’un ton pénétré, tu me flattes, chevalier… n’importe, je boirai pour deux.

Une nouvelle caresse à la cruche et Platzov poursuivit, les yeux clignotants, la tête oscillant sur ses épaules :

— Le Tzar avait peur de Napoléon… Il recrutait des espions à envoyer en France…

— Et il vous choisit, pope.

— Je savais le français, mon fils, le Czar en fut informé… Spes et fides, espérance et foi, il mit tout en moi.

Le visage d’Espérat s’était contracté. Ainsi, il avait en face de lui un espion, un homme payé par la coalition européenne pour trahir l’Empereur. Un désir fou de briser le crâne du pope gronda en son