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L’HOMME SANS VISAGE
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XII

LA SITUATION POLITIQUE


Elle sortit en me regardant. Un instant, en la suivant du regard, j’oubliai le garçon qui attendait toujours ma réponse.

Cet homme toussa, sans doute pour me rappeler qu’il était là.

— Faites entrer, fis-je sèchement, quelque peu vexé de ma distraction.

Un moment après, sir Lewis Markham entrait. Cette fois, je le voyais en « civil ». Il portait du reste ce vêtement avec une aisance assez rare chez les militaires.

Nous nous serrâmes cordialement la main.

— Allons, allons, fit-il, je vois que notre blessé va pouvoir bientôt reprendre place dans le rang.

— Certes…

Il me coupa la parole :

— Par exemple, reprit-il, une fois rentré dans le rang, il importe de n’en plus sortir.

Je le regardai d’un air interrogatif :

— Oui, répliqua-t-il, car le soldat qui veut jouer au général, si valeureux qu’il soit, fait perdre la bataille à ses alliés.

Le ton de sir Lewis me choquait. Pourtant, je ne me révoltai point.

Je sentais que, pour parler ainsi, il devait avoir de bonnes raisons.

Sans doute, mon attitude lui plut, car son accent se fit moins sévère.

— Si l’on m’avait écouté, on ne vous aurait rien confié de l’affaire ; mais on a tenu à être agréable au Times… Cela atténue votre responsabilité… Un journaliste, épris de sa profession, ne pouvait résister au désir de se rendre au Puits du Maure.

— Quoi ? Vous savez, m’écriai-je, stupéfait de voir le capitaine Markham au courant de mes faits et gestes.

Il me toisa d’un coup d’œil railleur :

— Vous n’allez pas vous étonner de cela… Vous avez interrogé toute la ville pour découvrir l’emplacement du Puits du Maure… et quand on questionne une cité entière… le malheur est que vous avez éveillé la défiance du comte de Holsbein, qu’il est sorti de l’Armeria avec vous, sans avoir tiré les documents de leur cachette…

Je ne pus arrêter cette phrase curieuse :

— Alors, on l’a dévalisé en pure perte ?

— Presque.

— Que signifie ce : presque ?

— Que le papier dérobé à Londres manquait ; mais que des notes chiffrées nous ont révélé que le comte se croyait entouré d’ennemis, et qu’il allait tenter une expérience pour s’assurer que personne ne serait capable de rompre les mailles du filet tendu autour de sa personne.

Je songeai au voyage de Wilhelm Bonn ; ce voyage dont Niète m’avait vaguement parlé, mais ma « faim de savoir » fut plus forte, et je murmurai :

— Le filet tendu par X 323 ?

Et le capitaine, inclinant la tête :

— Vous le connaissez ?

Cette fois, il haussa les épaules.

— Qui le connaît ?

— Pourtant, vous l’avez vu ?

— En dix occasions… Toujours différent de lui-même…

Avec un abandon qui me prouva que l’attaché militaire était aussi intrigué que moi, au sujet du mystérieux personnage, répondant à l’appellation de X 323.

— Ainsi, reprit-il, j’ai appris votre équipée par lui… Il est venu à l’ambassade, dans mon cabinet, sous l’apparence d’un boy télégraphiste… d’un gamin de dix-huit ans à peine… Il a deviné à mes regards dirigés vers la sonnerie électrique, que je méditais quelque chose contre son incognito.

— Et ?

— Il m’a prévenu que je n’étais pas de force… que nul ne le suivrait contre sa volonté. Il est sorti de mon bureau… J’ai aussitôt téléphoné au concierge de dépêcher un de nos agents à la poursuite du boy de la poste.