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L’HOMME SANS VISAGE
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était vrai… Vous étiez étendu, paraît-il, dans une allée étroite, et à cent mètres de là, devant une petite porte accédant aux « resserres » du musée, gisait le corps de mon père… Voilà ce que j’appris de ces gens… Vous jugez de mon épouvante, de ma tristesse.

Vous, on vous avait identifié, car les criminels ne vous avaient rien volé, et l’on vous rapportait à la même heure à l’hôtel de la Paix. Mon père, lui, complètement dévalisé, eût passé la nuit à l’hôpital, si l’un des agents ne l’avait reconnu.

Oh ! je n’avais plus la moindre envie de parler…

Des idées multiples se heurtaient dans ma tête.

Le comte de Holsbein m’avait supprimé. Lui-même l’avait été à son tour.

Par qui ?

Le soin pris de le dévaliser, me fit songer à X 323… Quoi d’impossible à ce que cet homme étrange se trouvât là ?… Mais alors, il savait donc, qu’entrés par le Puits du Maure, nous sortirions de ce côté ?

Et puis autre chose ?

La police, mise au courant de notre aventure, nous interrogerait sûrement.

Que répondre ?

Si X 323 ne possédait pas le document volé au Foreign-Office, il fallait absolument n’en pas parler.

Divulguer son existence m’apparaissait aussi dangereux que de le laisser publier par le service des renseignements de l’Allemagne… ou presque…

Tout cela sautait dans ma tête. On aurait dit que ma boîte crânienne abritait toute une colonie de criquets et de cigales.

La mignonne, à cent lieues de supposer pareil trouble dans mes idées, poursuivait cependant :

— Et le plus étrange dans cette aventure incompréhensible, est que mon père prétend ne pas être entré dans les jardins de l’Armeria qui, vous le savez, sont fermés au public la nuit.

Je dressai l’oreille.

Est-ce que le comte n’aurait autorisé sa fille à me venir soigner que pour m’indiquer de quelle façon il conviendrait de répondre aux curiosités de la police ?

— Il dit, faisait la chère aimée, de sa voix tranquille, que sorti de la maison, il s’est promené au hasard ; que, parvenu auprès d’une église, laquelle, il ne saurait la préciser, la migraine répandant autour de lui comme un brouillard… Enfin près d’une église, il avait éprouvé un choc violent à la tête… Et puis il a dû perdre connaissance, car il ne se souvient de rien autre.

Je ne m’étais pas trompé… Niète m’était envoyée comme une inconsciente messagère.

Décidément, le comte était un rude jouteur, et le coup qui avait fêlé son crâne, ne lui avait rien fait perdre de ses moyens.

Il m’indiquait la voie. Je n’hésitai pas à m’y engager. Plus tard, bien plus tard, ma chère Niète saurait la vérité et elle me pardonnerait de lui avoir menti dans l’intérêt supérieur de l’Angleterre.

— Voilà qui est étrange, murmurai-je de l’accent d’un homme profondément étonné.

— Qu’est-ce qui paraît si étrange au señor, s’exclama Concepcion, qui évidemment devait bien souffrir d’avoir si longtemps gardé le silence.

Brave fille ! Elle me tendait la perche de salut.

— Eh ! c’est que moi non plus, je n’ai pas mis le pied dans le jardin interdit de l’Armeria.

Santa Virgen !

— Est-ce possible !

Les deux exclamations jaillirent en même temps des lèvres de mes interlocutrices.

Et je ripostai, avec le « toupet d’airain » d’un menteur diplomatique :

— Puisque je vous le dis… Les émotions de la journée me faisaient rechercher la solitude… Rêvant, monologuant, déambulant, j’ai conscience d’être arrivé jusqu’à la rive du Mançanarès.

— La rivière de Madrid, souligna