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L’HOMME SANS VISAGE
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Les faits se précipitaient du reste avec tant de rapidité, que je me sentais entraîné, sans le loisir de réfléchir.

M. de Holsbein m’avait pris le bras et m’entraînait au dehors.

Nous nous trouvions dans un jardin. Je me retournai. Je vis derrière moi la petite porte qui s’était refermée, et aussi la silhouette d’un bâtiment que les « panoramas » m’avaient rendu familière.

Pour ne me laisser aucun doute, le comte prononçait au même instant :

— Le Musée de l’Armeria, qui contient la plus belle collection d’armes offensives et défensives du monde.

Puis, son bras passé sous le mien :

— Ce jardin est interdit au public, une fois la nuit venue, mais les archéologues jouissent de certaines privautés, vous le voyez… Nous allons traverser les massifs et nous regagnerons la Puerta del Sol par la Calle Mayor.

Je voulus avoir l’air aussi dégagé de préoccupations que lui-même.

— Nous parlions de la légende du Puits du Maure, tout à l’heure.

— En effet.

— Ne me promettiez-vous pas de me conter la vérité enclose dans la légende ?

— Vous avez la mémoire bonne.

— Et la déduction aussi… Paroles magiques actionnant l’eau, Maure, etc., tout cela s’est expliqué de soi-même… Un engrenage hydraulique, un voleur de nuit… Mais la Belle Fille, la captive du Maure, je ne l’ai pas découverte.

M. de Holsbein se prit à rire franchement.

— La Belle Fille était le nom donné à l’armure du Grand Maître d’Alcala, à cause d’une tête de femme damasquinée…

— Et alors, le Maure ?…

— Avait volé cette armure en empruntant le chemin souterrain qu’il avait creusé.

— Quoi ! m’écriai-je avec surprise. Tant de travail pour une armure.

— Vous comprendrez, quand j’aurai ajouté que la Belle Fille d’Alcala était réputée donner la victoire à quiconque en était revêtu. Elle avait dès lors un prix inestimable.

Un étroit sentier entre deux buissons se présenta devant nous.

Le comte me fit passer le premier… En face d’un supérieur ou d’un homme plus âgé que vous, la politesse est d’obéir, selon le précepte fameux de M. de Talleyrand.

Je ne refusai donc pas de précéder mon compagnon.

Mais à peine avais-je fait deux pas qu’un coup violent me frappa à la nuque. J’eus l’impression d’un bouleversement soudain de ma boîte crânienne, et je roulai sur le gravier de l’allée, ayant perdu toute conscience d’être.

Je n’étais pas mort, puisque je conte aujourd’hui l’aventure, mais comme dit le bon Falstaff, je n’en étais pas loin.


X

RÉVEIL


J’ouvris les yeux. Je reconnus que j’étais couché dans ma chambre de l’hôtel de la Paix.

J’entendais le ronronnement d’une bouilloire et le chuchotement de la conversation à voix basse de personnes que je ne voyais pas.

J’essayai de tourner la tête pour apercevoir les causeurs ; mais une vive douleur se vrilla dans les chairs de ma nuque.

D’instinct, j’y portai la main.

Mon crâne était entouré de bandelettes, tel un crâne de ces vilaines momies, enduites de natron, dont j’avais fait la connaissance en Égypte.

Cela me surprit infiniment, car je ne me souvenais pas avoir procédé à semblable toilette de nuit.

Mais ma surprise s’accentua encore, bien que changeant de cause, à l’audition de ces paroles :

— Señorita, il a bougé.

By Heaven, j’entendais la voix de