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L’HOMME SANS VISAGE

Mais le comte qui sourit toujours, me dit d’un ton bonhomme :

— Heureusement, je vous ai reconnu, Monsieur Max Trelam. Sans cela, je vous aurais traité comme un simple rôdeur de nuit.

Je m’incline, un peu interloqué et je réponds, sans avoir conscience des mots prononcés :

— Oui, oui… heureusement !

— Mais, répond-il, qu’est-ce que vous faites ici ?

Il eût été intelligent de lui retourner la question :

— Et vous ? Moi, je vous suis.

Mais le souvenir de Niète se présenta à mon esprit. Je sentis peser sur mes yeux son regard bleu et je donnai la volée à la plus inepte des explications :

— Oh ! curiosité d’archéologue… les vieilles pierres…

— Ah ! vraiment.

— Oui, une gitane guitariste m’a parlé du Puits du Maure. J’y suis venu… J’ai vu à l’intérieur des échelons de fer, une ouverture dans la paroi… Voilà !

Il m’écoutait en approuvant de la tête.

J’aurais dû penser :

— Pour cet homme, je suis un espion attaché à ses pas… Pour ce soir, il n’a pas tout à fait tort.

Mais, aveuglé par le désir de ne pas me brouiller avec le père de la gentille Niète, je me déclarai in petto que la conversation prenait une tournure satisfaisante.

Enhardi par cette idée, j’allai jusqu’à m’écrier :

— Mais vous-même, vous me semblez tout aussi épris d’archéologie que votre serviteur.

Son visage se fit plus ironique.

— Oh ! moi, je suis un vieux chercheur d’antiques gravats.

Je savais qu’il mentait.

Mais il avait l’air d’ajouter foi à mes explications. Je me devais de lui rendre sa politesse.

— Et puis, ajouta-t-il… Murs lézardés, donjons branlants, sont les plus sûrs antidotes de la migraine… Or cette vilaine me tenait aujourd’hui. Tantôt déjà, je la sentais me mordiller le front au Parc… Si bien que, ce soir, après mon dîner, je suis sorti pour prendre l’air… La marche me réussit parfois… Seulement, l’homme propose et l’antiquaire dispose… J’ai songé que le Puits du Maure se trouvait tout proche… C’est le gâteau qui aiguille les désirs des vieux enfants comme moi. Je suis venu, et j’en rends grâces aux dieux, puisque cette folie me vaut le plaisir de votre compagnie.

J’étais pincé.

Dans une ruée, mes pensées se pressèrent.

Il avait sur lui le document du Foreign-Office vraisemblablement.

Et ce personnage madré comptait sans doute se faire escorter par moi jusqu’à son logis.

— Vous plaît-il que nous rentrions ensemble ? fit-il, comme pour répondre à ma réflexion intérieure. Nous reviendrons de jour au Puits du Maure, et je vous conterai sur place l’histoire que je crois être vraie. Car ces vestiges du passé sont inconnus de tous… Les gitanes seules ont conservé la mémoire de la légende.

Parfaitement ! Il me conviait à l’escorter. Je ne m’étais pas trompé.

Mais, tout en me jurant bien qu’il ne rentrerait pas à la Casa Avreda avec le papier, dont la publication ensanglanterait l’Europe, je répondis d’un ton détaché :

— Avec grand plaisir, je profiterai de votre compagnie.

Et je me dirigeais vers la trappe.

Le comte m’arrêta :

— Pas de ce côté. Permettez qu’un « découvreur » qui vous a précédé, vous guide encore.

En parlant, il remettait en place une dalle qui obstruait l’entrée de l’escalier descendant à la voie souterraine.

Puis, allant vers une porte ménagée dans la muraille du sous-sol, il l’ouvrit sans que je pusse me rendre compte du procédé qu’il avait employé. Usa-t-il d’une clef ?… Fit-il jouer un secret ? Je l’ignore.