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L’HOMME SANS VISAGE

fait réprouver en temps normal. Aussi ne vous le répéterai-je pas.

L’homme que j’avais sous les yeux était le comte de Holsbein Litzberg !


VIII

L’ŒUF DE LA LÉGENDE


Sans hésitation, il s’approcha du puits. Il ne soupçonnait pas qu’on le pût épier, car il ne prenait aucune précaution. Rien ne l’avait donc inquiété tandis qu’il effectuait le trajet de la Casa Avreda au Puits du Maure.

Mais alors, que faisait X 323 ? Un accident l’avait-il immobilisé ? C’était probable. Comment expliquer autrement son absence ?

Ah ! Et dire que si j’étais là si heureusement pour le remplacer, c’était contre sa volonté. Je me pressai les mains avec effusion, vraiment enchanté du rôle que mon obstination allait me faire jouer.

J’entrevis bien, confusément, qu’une lutte avec M. de Holsbein pourrait avoir une répercussion fâcheuse sur mes projets de mariage.

Mais quand on est dans l’action, celle-ci vous emporte… Je ne pus m’arrêter à l’idée embryonnaire qui m’aurait peut-être paralysé.

Au surplus, toute mon attention fut accaparée par les faits et gestes du comte.

Il se pencha sur la margelle, avec un petit ricanement qui s’enfla dans l’intérieur du puits.

Il prononça quelques paroles que j’entendis mal. Est-ce qu’il disait les mots magiques du Maure ? L’idée me fit sourire.

On a de ces pensées enfantines parfois… Mon cerveau restait impressionné par la légende des eaux montant ou s’abaissant à la volonté du geôlier de la Belle Fille.

Mais à quelle singulière pantomime se livre l’Allemand ?

Il tourne autour du puits, la tête penchée vers le sol.

Il s’arrête, se baisse un instant. Qu’est cela ? Je perçois un déclic métallique… Mes sens m’abusent certainement…

Un nouveau bruit, aussi peu explicable que le premier augmente ma perplexité. On dirait un courant liquide s’engouffrant dans une conduite d’eau.

Ah çà ! Le puits, le Puits du Maure serait-il tout simplement muni d’un déversoir que l’on peut manœuvrer du dehors ? Une clef hydraulique serait la parole magique !

À la bonne heure. Je tiens une légende dans son œuf.

Ma pensée vole. Un ingénieur, un architecte, dont le travail reste incompréhensible pour la foule, sont passés par là.

L’ignorance les a transmués en messire Satanas ; le propriétaire du puits est devenu le Maure farouche, qui pour le peuple espagnol, demeure une incarnation du démon.

Mais alors, les crampons de puisatier, que j’ai remarqués à mon arrivée doivent conduire… ?

Ici, la légende reste obscure.

Qu’est-ce qui remplace le boudoir où gémissait la Belle Fille ?

Rien ne vient à la traverse de mes réflexions.

Le comte se tenait immobile maintenant. De loin en loin il se penchait sur la margelle, d’où jaillissait toujours le ronronnement de la chasse d’eau. Cela dura dix minutes environ. Il monologuait par intervalles :

— Un instant encore… Ce soir, j’en aurai fini avec cette histoire !… En aurai-je fini ?… Oui, oui… Ni lui, ni personne, ne pouvait soupçonner ma ruse… Eh mais, Holsbein Litzberg dépiste ceux qui triomphent de tout…

— Ça, c’est pour X 323, me dis-je… Seulement, le comte se trompe… Son adversaire sait… et moi aussi.

Une vague inquiétude me fait ajouter :

— Pourquoi X 323 manque-t-il au rendez-vous ?

Quelle catastrophe a pu l’arrêter ?

Puis une pensée flatteuse pour moi :