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L’HOMME SANS VISAGE
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Je débouchais dans une petite clairière, au centre de laquelle une saillie de forme géométrique trouait le sol.

— La margelle du Puits du Maure, me confiai-je avec une joie que tout reporter comprendra.

J’allais toucher ce puits, après quoi je courais depuis le matin.

La difficulté vaincue, voilà le secret du bonheur humain.

Car, au demeurant, ce vieux puits ressemblait à tous les vieux puits quelconques. Il ne présentait rien de remarquable.

Même en me penchant sur la margelle, j’aperçus l’eau miroitante à une dizaine de mètres de moi… profondeur moyenne pour les réservoirs de ce genre… Et mes yeux, qui eussent souhaité du merveilleux, découvrirent, fichés dans la paroi intérieure, la succession des crampons de fer, de ce que l’on est convenu d’appeler l’échelle des puisatiers, parce qu’elle sert à ces ouvriers à gagner le fond, quand ils ont à procéder à un curage, ou à une réparation.

Ce dernier détail me jeta un « froid ! » Partir pour une légende et ramper en pleine banalité, rien n’est plus déconcertant !

Si j’étais là, c’était pour l’Angleterre. Pour l’Europe aussi, naturellement ; mais je suis Anglais avant d’être Européen, n’est-ce pas ? Et ma première pensée va à ma chère Great Britain.

J’ai eu une si jolie et si bonne petite maman… Elle dort à présent dans la terre anglaise, et, rien que pour cela, cette terre me serait plus chère que toutes les autres.

X 323, le comte de Holsbein, vont se rencontrer ici, selon toute probabilité.

Il convient donc de me dissimuler pour éviter des explications embarrassantes.

Une cachette alors… Où cela ?

Voici des broussailles qui feront mon affaire, à cinq ou six mètres du puits tout au plus, en bordure de la périphérie de la clairière.

Un effort encore. Je fais corps avec la broussaille… Corps même un peu plus que mon épiderme ne le souhaiterait. En diverses parties de mon personnage, en dépit de la protection de mes vêtements, des épines indiscrètes me causent des chatouillements plutôt désagréables.

Je suis très mal, mais ma cachette est sûre, de sorte qu’au point de vue de mon expédition, je suis très bien.

Les voilà les propositions contradictoires également vraies.

Que dura mon attente ?

Quelles réflexions m’aidèrent à passer le temps. De cela, je n’ai point conservé la mémoire.

Je me souviens seulement qu’à un certain moment, ayant levé la tête vers le ciel, je supposai qu’une étoile scintillant juste au-dessus de moi, pouvait peut-être, à cette minute précise, attirer également le regard bleu de miss Niète, et que je m’absorbai dans la solution d’un problème que ni la cosmographie ni la trigonométrie n’ont jamais songé à discuter.

Je cherchai à calculer la parallaxe formée avec deux regards de tendres engagés, se rejoignant sur une même étoile.

Pénétré par l’inquiétude, et puis, la température assez basse refroidissant peut-être mon ardeur, j’en étais à me demander si j’agissais sagement en prolongeant ma faction, quand un froissement de feuilles me fit me renfoncer dans ma cachette.

Quelqu’un venait à travers le bois.

Pas un instant, je ne doutai que ce fût l’un des deux champions du duel mondial, dont je devais être l’historiographe.

Mais lequel ?

X 323 cherchant à surprendre le comte, ou bien ce dernier ayant réussi à dépister X 323.

Ma curiosité anxieuse ne devait pas être mise à une longue épreuve.

Une forme humaine parut à l’orée du sentier que j’avais suivi moi-même.

Je crois bien que je proférai un juron intérieur, que ma correction me