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L’HOMME SANS VISAGE

une dépêche arrivée de Londres.

Une dépêche du Directeur.

Et quelle dépêche !

Presque une brochure. Cela n’était point pour m’étonner, car au Times, il est de règle de ne pas lésiner.

— Dépensez sans compter, recommande-t-on aux nouveaux venus… la seule chose importante est d’avoir des nouvelles intéressantes. Le prix n’est rien.

Et les nouvelles ne devaient pas être dépourvues d’intérêt, car le long télégramme m’apparaissait rédigé au moyen du chiffre spécial, dont le secret est confié à l’honneur de tout reporter en mission pour le journal.

Deux minutes plus tard, laissant là mon déjeuner, je déchiffrais la stupéfiante communication que voici :


II

LE CAMBRIOLAGE CHEZ LE PREMIER


« Hier au soir, vers cinq heures, lord Downingby, notre premier ministre, quitta le cabinet somptueux et sévère où il prépare, d’accord avec notre Souverain, les « coups » qui doivent donner la victoire à l’Angleterre sur l’échiquier du monde. »

À mes yeux se retraça le bureau du Premier, avec ses vieilles boiseries, son plafond à caissons, l’ameublement de style, digne des grandes pensées de gouvernement jaillies de cette salle pour s’envoler sur toute la surface de la terre, mais je continuai ma lecture.

« Le Premier se rendait chez sir Aldershot, retenu à la chambre par une mauvaise grippe, pour discuter avec ce dernier certaines modifications à apporter au programme des constructions navales.

« À cinq heures trois quarts, soit après une absence de quarante-cinq minutes seulement, il rentrait dans son cabinet du Foreign.

« Il devait dîner au Palais, dîner de grande intimité, selon le désir du roi. Aussi, pressé par le temps, car notre cher souverain aime que l’on endosse la tenue de demi-gala, lord Downingby était revenu à son bureau uniquement pour enfermer en lieu sûr, certaines notes et rapports maritimes qu’il rapportait de chez sir Aldershot.

« Le lieu sûr est un coffre-fort encastré dans la muraille, derrière le bureau du Premier Ministre, ce coffre-fort peint de même couleur que les boiseries et dont les trois boutons correspondant au chiffre du secret n’ont jamais été manœuvrés que par Son Excellence en personne.

« La garde du Ministère étant assurée alternativement par les corps d’élite des horse-guards et des highlanders, il semble, en effet, que nul autre endroit ne donnerait autant de sécurité pour dérober aux curieux les pièces officielles.

« Donc, M. le Premier alla à son coffre-fort, et là, avec stupeur, il constata que, durant sa courte absence, on avait fait jouer le chiffre secret, on avait ouvert et enlevé un document d’une gravité exceptionnelle, que lord Downingby était sûr d’avoir eu en mains deux heures auparavant.

« Le chiffre, changé depuis hier, trop tard malheureusement, était le nombre 323.

À cette précision, je compris que le « patron » lui-même avait mené le « reportage » de l’affaire, car nous reconnaissions tous son évidente supériorité, et nous ne nous blessions jamais de le voir agir dans les circonstances graves, alors que nous nous reposions.

« Lord Downingby est un homme ferme. Sans perdre une seconde, il téléphona aux services de la Sûreté, affectés au contre-espionnage. Donc, il suppose que le voleur est un espion. Des télégrammes envoyés dans les divers ports anglais et prescrivant de surveiller étroitement les embarquements, surtout ceux à destination de l’Allemagne, il est permis d’inférer que l’espion agissait au compte de cette dernière puissance.

« Enfin, la recommandation faite