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L’HOMME SANS VISAGE

Après tout, sa situation ne manquait pas d’analogie avec celle de la victime dans la légende… Un mécréant, une existence ténébreuse, tout s’y trouvait.

— Tantôt encore, Mademoiselle, j’écoutais une vieille gipsy, comme nous nommons les bohémiennes, en Angleterre, chanter le romancero du Puits du Maure… Vous ne connaissez pas… Alors écoutez d’où s’évada la Belle Fille. L’histoire ne dit pas son nom patronymique, mais cela vous est indifférent.

Ravie par un Maure, mauricaud, jaloux et cruel, comme tous ceux de cette race antipathique, elle fut enfermée, dans un boudoir souterrain, au fond d’un puits.

Vous pensez que ce devait être humide. L’histoire n’en dit rien. Supposons que les pierres, cimentées avec soin, s’opposaient à l’irruption indiscrète de l’eau.

On le voit, j’adoptais le mode enjoué, et les traits de la mignonne reflétant sans doute le voile plaisant que j’appelais sur les miens, se rassérénaient.

Ah ! la gaieté ! quel julep moral !

— À ce cachot, continuai-je, il y avait une porte, laquelle porte devait être une trappe, car au-dessus l’eau du puits interdisait toute communication avec l’extérieur. Seul, le Maure, avec un mot magique, balayait ou ramenait l’eau à son gré… Ces mots-là sont très difficiles à retenir et impossibles à prononcer si l’on n’a pas donné son âme au diable.

C’était à cette époque, un petit cadeau qui se faisait beaucoup… Les marrons glacés ont remplacé cela.

Ici, la figure de Mlle de Holsbein s’éclaira… Ce ne fut pas un sourire, mais c’en était sûrement la semence. La résultante d’un mouvement de l’intellect vers la joie, mouvement trop faible pour entraîner les muscles enregistreurs du rire, mais assez fort cependant pour les impressionner.

Rien ne renforce la verve comme être écouté !… Or, j’avais conscience que toute la chère petite âme de ma compagne était suspendue à mes lèvres. Cela lui apparaissait doux d’échapper à l’obsession de la pensée qui la torturait depuis la veille.

Je m’assis auprès d’elle, sans marquer une importance quelconque à cette action et je poursuivis :

— Vous croyez la Belle Fille captive à jamais, car vous l’avez bien jugée… Elle est incapable de s’adresser au diable, en vue d’apprendre le fameux mot magique.

Ce mot, pour une raison analogue, je ne vous l’enseignerai pas non plus.

Mais il est quelqu’un qui distrait son éternité à corriger le démon… C’est la Bonne Dame de Tout-Secours. Après avoir écrasé la tête du Dragon, elle se complaît à lui dérober ses formules magiques… Elle est en quelque sorte le saint Pick Pocket de l’humanité orthodoxe.

La Belle Fille implora la Bonne Dame. Et la Bonne Dame dégagea la porte du cachot de l’eau qui en assurait la fermeture hermétique. Le problème hydraulique, aussi heureusement résolu, la Belle Fille reparut au soleil, libre, heureuse de vivre ; tandis que le Maure, auquel naturellement on avait caché l’aventure, venait se faire prendre comme dans une souricière.

En effet, la Bonne Dame lui réservait une dernière plaisanterie.

Dès qu’il fut de retour dans la prison vide de sa captive, la Dame jeta la formule magique dans les abîmes de l’Infini, si bien que le diable lui-même ne put la retrouver, et que le Maure changea d’orthographe en devenant mort.

Je regardai Niète bien en face, pour faire pénétrer ma conviction, ou du moins celle que j’affectais, dans son esprit et je conclus :

— Vous le voyez, Mademoiselle, sous la fantaisie du récit, on retrouve l’indestructible certitude des peuples, à savoir que l’on doit toujours espérer l’évasion… de la prison, de la douleur, de la misère, des mille choses qui font souffrir les êtres !

On eût cru que ma conclusion rame-