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n’ai jamais ressenti à la lecture des lettres immortelles et universellement réputées sans égales de Madame de Sévigné.

Je courus au télégraphe, expédiai ma dépêche au Times, et puis, comme un écolier en vacances, je jetai par-dessus mon épaule toute idée sévère.

Plus de politique, plus de reportage, ni de Times, ni de document dangereux.

Je reprendrais le collier le soir, à l’heure du Puits du Maure.

Jusque-là, je ne voulais songer qu’à Mlle de Holsbein, à son doux visage éclairé par ses yeux candides et tristes, petites violettes vivantes écloses sur une âme douloureuse.

Au pas de charge, je parcours la rampe de San Geronimo. J’arrive à l’entrée du parc qui s’ouvre à son extrémité.

Je gagne le Paseo de las Estatuas, cette large avenue bordée de statues, dont les silhouettes rigides se découpent sur les feuillages de jardinets tracés à l’anglaise, avec des sentiers contournés, des fantaisies charmantes des metteurs en scène de l’horticulture.

Mais là, je suis pris d’une indécision.

Que lui dirai-je, à cette triste jeune fille, quand je serai en sa présence ?

Elle est superbe. Concepcion ! Elle tranche les difficultés, même orthographiques, avec une admirable assurance.

Seulement, toute audacieuse, toute soubrette qu’elle soit, je voudrais bien la voir à ma place.

C’est absurde, ce que je dis là.

Concepcion ne serait pas embarrassée. Elle dirait ce qui lui viendrait aux lèvres, sans s’inquiéter de savoir si cela est conforme aux convenances mondaines.

Pour cette fille simple, tout se résumerait en cet aphorisme :

— Ce qui est utile est forcément bon à dire.

Quel avantage dans la vie que d’avoir été mal élevé !

Tandis que mon cerveau se débat entre ce qu’il souhaite et ce qu’il critique, mes jambes, que ledit cerveau oublie de surveiller, s’ouvrent et se ferment régulièrement, comme des compas… J’ai quitté le paseo des statues… Je parcours les petites allées du jardin anglais.

Mais une émotion profonde m’étreint, gagnant jusqu’à mes jambes, qui interrompent brusquement leur mouvement mécanique.

À quelques pas de moi, assises sur un banc de pierre, au-dessus duquel se replient en dôme des noisetiers au feuillage rougi, Niète et sa suivante sont immobiles.

La jeune fille, le front penché, absorbée en une rêverie que l’on sent pénible, ne me voit pas.

Concepcion, elle, m’a vu de suite. Son visage s’épanouit en un sourire de bienvenue et ses yeux noirs brillent… brillent.

La fille de chambre est de toute évidence, contente de moi, et cela me flatte infiniment.

Je crois bien que l’excellente fille est en train de devenir mon amie.


IV

I AM « ENGAGED »


Une nouvelle timidité me reprend.

C’est curieux, toutes les ladies que j’ai rencontrées m’ont affirmé que les hommes ont toutes les audaces.

Je le crois fermement, car il ne faut jamais douter de ce que dit une femme. Ce serait perdre une illusion. Seulement, mon expérience, mon « observation » m’ont conduit à penser que, dans leur générosité gracieuse, les exquises ladies attribuent, à notre sexe piteux, l’audace qui nous manque parce qu’elles la possèdent toute.

Ne froncez pas vos sourcils, si joliment arqués ; Madame, aucun poison critique ne réside en cette réflexion.

Je souhaite, au contraire, exprimer une reconnaissance éperdue pour la charité, la pitié féminines, car, si les dames adorables ne nous y aidaient pas un peu, passablement, beaucoup, pas-