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L’HOMME SANS VISAGE
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La monnaie de billon tinte dans la sébille de cuivre qu’elles tendent à l’aumône… Ces humbles pièces sonnent la générosité des pauvres à plus pauvres qu’eux.

— Eh ! brave femme, ne voulez-vous pas une pièce blanche ?

Je lui montre une pièce de deux pesetas.

Elle étend ses doigts crochus vers le disque de métal qu’elle fait disparaître avec une prestesse d’escamoteur.

Et obséquieuse, ses yeux rusés fixés sur moi :

— Que désire le rico hombre ?

Je tire une guinée (pièce d’or de 26 francs) de ma poche. Dans l’œil de la vieille s’allume une étincelle.

Elle ne m’en veut plus.

— Écoute, dis-je, ceci est à toi, si tu me renseignes sans mentir.

— Oh ! señor, on ne ment pas aux personnes généreuses.

— Nous verrons. Le Puits du Maure…

— Ma chanson ?

— Non, le puits réel existe-t-il à Madrid ?

La vieille figure ratatinée s’illumine… J’y lis qu’elle est certaine de gagner la pièce d’or… Elle sait ce que je lui demande :

— Que les génies bienfaisants du Feu, du Vent et des Flots soient favorables au señor ! Le Puits du Maure se trouve dans cette ville capitale des Espagnes. Et comme le dit la musique, l’eau monte ou descend au gré de qui connaît le secret qui la commande.

— Je ne me soucie pas de sortilèges… Réponds simplement à cette question… Puis-je le voir ce fameux réservoir ?

— Vous le pouvez certainement, señor.

— Il me suffit d’être éclairé sur sa situation, je pense.

— Justement, le rico hombre n’en est pas bien loin à cette heure.

— Réellement ? fis-je avec un petit frisson de joie.

— C’est à deux pas de l’Armeria.

L’Armeria… Nous en sommes à quelques centaines de mètres. La vérité est en marche vers moi.

— L’or se rapproche de ton escarcelle, brave femme… achève.

Et elle continue, son rire s’accentuant, lui strie le visage d’innombrables rides entre-croisées.

— Le puits est dans la rue Novillo.

Le terrain alentour reste à l’abandon depuis bien longtemps. Les plantes y croissent sans être tourmentées par le jardinier, elles s’enchevêtrent comme les arbres d’une toute petite forêt vierge.

Seulement, plus personne parmi les heureux ne se souvient du Puits du Maure. Il n’y a que les pauvres errants comme moi, parce que seuls, nous sommes assez légers de monnaie pour fréquenter la Taberna Camoëns. Eh ! eh ! il faut entrer par la Taberna, traverser la courette qui s’étend derrière, boueuse et triste, et que borne la clôture vermoulue de l’enclos du Puits… Oh ! il y a des brèches… grâce à elles, durant la saison d’été, on a là un bon campement pour la nuit, et les gens de la police n’y viennent pas déranger le pauvre monde.

La pièce d’or glissa de ma main dans les doigts de la gitane.

Elle avait assez dit sans doute à son avis, car elle me permit de m’éloigner. J’allongeais le pas, et je dois avouer que ma précipitation provenait, moins du souci de n’être pas trop en retard au déjeuner de l’hôtel de la Paix, que de celle d’augmenter la distance entre la diseuse d’aventure et moi.


III

Ô SOUBRETTE ESPAGNOLE, MESSAGÈRE
DES SOURIRES !


On nous dit flegmatiques, nous autres Anglais. Je ne m’explique pas pourquoi, car il m’a semblé dans mes pérégrinations à travers le monde, qu’aucun peuple n’est moins flegmatique que nous ; qu’aucun n’est disposé à une gaieté plus enfantine.

Évidemment, certaines races sont