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L’HOMME SANS VISAGE
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tretien que par conviction réelle, elle murmura :

— Peut-être !

Sur ce mot, elle se déroba et s’adressant à Concepcion :

— Accompagne-moi, ma bonne petite.

Je ne fis pas un mouvement pour la retenir. J’avais eu l’impression d’une volonté inflexible enclose dans ce gracieux corps de jeune fille.

Elle alla vers la porte.

Arrivée sur le seuil, elle se retourna, m’enveloppa d’un long regard, ses lèvres s’ouvrirent pour livrer passage à ces mots :

— Adieu, Monsieur Max Trelam. Adieu… Je vous remercie.

Et elle s’engagea sur le perron, suivie par Concepcion qui haussait furieusement les épaules, comme si, en sa pensée madrilène, les choses n’avaient point marché ainsi qu’il convenait.


XV

JE COLLABORE À UN CRIME


Vous connaissez tous, le gâchis que provoquent dans un cerveau, les pensées contradictoires.

Vous n’aurez donc aucune peine à vous faire une idée de la confusion qui régnait dans cet organe, siège de la faculté de réfléchir et de raisonner, selon la définition admise par les professeurs de sciences naturelles.

Définition aventurée comme la plupart des affirmations scientifiques. Quand on fréquente les hommes, on s’aperçoit bientôt à l’usage que, si le cerveau sert de siège à quelque chose, ce n’est certes ni à la réflexion, ni à la pensée, sauf chez un nombre infime d’individus, exceptions confirmant la règle.

Quoi qu’il en soit, une seule perception demeurait nette pour moi.

— Je n’avais plus rien à faire dans le pavillon, non plus que dans le jardin de la Casa Avreda.

Une conclusion s’impose en pareil cas.

Quand on n’a plus rien à faire en un endroit, il est opportun de s’en aller.

Et je gagnai la porte.

J’étais sur le point de la franchir, quand je me rejetai vivement en arrière.

Un laquais, en livrée d’intérieur, venant évidemment du corps de logis principal de la Casa Avreda, s’approchait à ce moment de la petite porte de service s’ouvrant dans le mur de clôture de la rue Zorilla.

Inutile de me montrer à cet homme.

Je le laissai donc sortir, sans soupçonner qu’un inconnu l’observait, et un instant après, je prenais pied à mon tour sur le trottoir mal entretenu de la Calle de Zorilla.

À vingt pas de moi, marchant dans la direction que je devais suivre pour revenir à l’hôtel de la Paix, le domestique déambulait sans se presser.

De toute évidence, le brave homme, ne se doutait pas qu’un autre promeneur venait de passer par la même porte que lui-même.

Instinctivement, je réglai mon pas sur le sien.

Il arrivait à l’endroit où la rue est bordée d’un côté par la muraille de la Villa Hermosa, et de l’autre par les clôtures de jardins et un pavillon, destiné probablement à un garde ou à un concierge.

Une porte basse, deux fenêtres à un mètre du sol, trouaient la façade de la maisonnette.

Le laquais avait passé devant la première croisée.

Tout à coup, j’eus l’impression fugitive, bien plus que je ne vis… ; cette fenêtre s’ouvrit… ; une sorte de flocon blanc s’en échappa et vint frapper l’homme derrière l’oreille.

Ce fut si rapide que j’aurais douté de la réalité de la chose, si l’homme ne s’était arrêté subitement, élevant la main vers l’endroit atteint. Mais le mouvement indiqué ne s’acheva pas… Le domestique vacilla sur ses jambes, sembla vouloir se défendre d’une chute imminente et enfin s’affala doucement sur le sol.