Page:Ivoi - L’Homme sans visage, 1908.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Depuis neuf heures, il en est onze maintenant, un document dont la divulgation bouleverserait l’Europe, repose suivant la volonté de X 323, sur la table incrustée de cuivre de la chambre Rouge.

Et comme j’allais enfin exprimer mon étonnement, la marquise me montra d’un geste circulaire que nous étions seuls dans le petit salon. Les autres s’étaient éloignés, les uns après les autres, sans que je les eusse remarqués.

Elle se leva, me dit :

— Venez.

Puis, elle souleva l’une des tapisseries flottant le long du mur. Une porte apparut. Avec une clef minuscule, elle ouvrit, et me saisissant le poignet, elle m’attira à sa suite dans l’ouverture.

La porte se referma sur nous.

Que signifiait cela ? Mon visage exprimait sûrement l’ardente curiosité qui me tenait, car la jeune femme appuya l’index sur ses lèvres et articula ces mots :

— Sans explication, obéir ?


VII

UNE ÉVASION


J’affirmai du geste et je la suivis.

Nous étions dans un couloir à la voûte cintrée, au sol pavé de larges dalles, dont l’usure attestait l’ancienneté.

Probablement une galerie du cloître devenu résidence de clercs. Et dans la pénombre, car nous n’étions éclairés insuffisamment que par des becs de gaz largement espacés, j’eus la vision de cette maison, alors qu’elle abritait des hommes ayant renoncé aux pompes du monde.

Je sentis peser sur moi la tristesse des renoncements… Je me représentais les moines austères glissant lentement sur les dalles que balayaient leurs robes de bure.

Nous marchions toujours. La galerie marqua deux coudes à angle droit et soudain je m’arrêtai, retenant ma compagne.

À dix mètres de moi, debout devant une porte dont la boiserie se découpait en rouge sur la blancheur de la muraille, je venais d’apercevoir un domestique vêtu de la livrée de la maison du comte de Holsbein.

Mais la marquise l’avait vu avant moi.

Elle me rassura d’un sourire et continua d’avancer vers cet homme.

Le laquais nous observait. Il fit mine de se mettre en défense, puis il se ravisa… D’où provenait ce changement d’attitude ?

Les premières paroles de la marquise m’éclairèrent.

Il l’avait reconnue.

Mais malgré cela, la scène qui suivit me demeura d’abord inintelligible.

— C’est toi, Marco, fit-elle de sa voix mélodieuse.

— C’est moi, Madame la marquise.

— Je n’ai pas voulu tarder à te faire part d’une nouvelle heureuse.

Elle marqua une pause, donnant ainsi au domestique, un Espagnol petit, râblé, à la physionomie naïve et passionnée, le loisir d’écarquiller les yeux et d’ouvrir la bouche en O, signes évidents d’une curiosité fort surexcitée.

— Tu aimes la jolie Concepcion ?

— Oh ! Madame la marquise, comme la Mère de Dieu, avec cette différence pourtant, rectifia-t-il, que j’espère l’épouser, tandis que la Santa Virgen, je ne l’espère pas.

Concepcion ! mais c’était la camériste de la jeune demoiselle Niète, dont je venais d’apprendre la tragique aventure. Fille d’espion, enlevée par un autre espion, avec la mort suspendue au-dessus de sa tête blonde.

— Je sais, reprenait ma singulière compagne, que vous souhaitez tous deux économiser assez pour ouvrir une confiserie sur le Prado.

— Hélas ! notre mariage n’est pas pour demain… Il s’en faut de mille pesetas (mille francs).

— Eh bien, Marco, ce gentleman et moi (elle me désignait de sa main finement gantée), en faisant la récapitulation de notre « bourse de bienfaisance »,