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L’HOMME SANS VISAGE
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n’eût jamais rencontré d’infidèles : la religion du Sommeil, avec les deux plus grands saints de la terre : saint Opium et saint Bromure.

Je me réveillai, frais et dispos, prêt à me lancer de nouveau dans l’imbroglio dont je me désintéressais la veille, un domestique questionné m’informa que notre ambassadeur occupait le no 9 de la calle (rue) de Torija ; aussitôt nanti de ce renseignement, je m’habillai avec l’intention de m’y rendre au plus tôt.

Mais il était écrit que j’aurais à subir un nouveau délai ; sur le point de sortir, on frappa à ma porte.

C’est un employé de l’ambassade d’Angleterre. Il me remet une lettre et s’éloigne en murmurant :

— Without any answer (sans réponse).

Je décachette vivement. Une feuille de papier, un carton armorié s’échappent de l’enveloppe. Je prends le papier. Ces lignes y sont tracées :

« Averti par le Times. Prudence nécessaire. Ne venez pas me voir à l’ambassade.

« Si découvrez une piste, prière m’aviser aussitôt que le Times, — ceci pour marquer mon respect de votre devoir de journaliste, — ou bien m’avertir seul, si votre « loyalisme » vous incite à penser que votre découverte ne doit pas être livrée au public.

« Ci-joint une carte d’invitation à la réception très courue, à la fête que donnera ce soir le comte de Holsbein-Litzberg, en son palais de la Casa Avreda « longside » (à côté) du palais Medina Cœli, carrera (avenue) de San Geronimo.

« Là nous nous rencontrerons, et pourrons causer. »

En effet, le carton priait « Sir Max Trelam de faire à M. le comte de Holsbein-Litzberg l’honneur d’assister… etc… » Vous connaissez tous la formule de ces billets, en suite desquels on fait à un monsieur que l’on connaît peu ou pas du tout et qui vous ignore, l’honneur d’aller s’ennuyer chez lui.

Mon premier mouvement fut de me mettre en colère.

Je m’étais flatté d’être renseigné le matin même par le capitaine Markham. Or, j’allais devoir attendre toute une longue journée.

Avec cela, saurais-je seulement le soir ?

Dans ces tumultueuses réunions mondaines, il est à peu près impossible de s’entretenir de choses vraiment sérieuses.

Le milieu est propice aux jolis riens, aux petits débinages, aux éternelles sottises que l’homme vraiment trop indulgent pour sa personne, décore du nom d’esprit.

Mais traiter une affaire importante, car le « patron » ne m’avait assurément pas expédié à Madrid pour une vétille, cela m’apparaissait d’une présomption à la fois enfantine et romanesque.

En outre, j’étais choqué, oh ! mais véritablement choqué, par la façon dont je me trouvais embarqué dans l’aventure.

Il semblait que tout le monde fût au courant de quelque chose dont, moi seul, je ne savais pas le premier mot.

C’est dur… et pénible pour un reporter, vous savez.

Mais les Écossais ont raison de dire que « lorsque l’on est ligotté, il faut bien se résoudre à n’avoir point la liberté de ses mouvements. »

Je finis par où j’aurais dû commencer. Je me résignai.

Il était près de onze heures du matin, je ne pouvais raisonnablement me présenter chez ce comte de Holsbein avant dix heures du soir… J’avais donc onze fois soixante minutes à dépenser.

Il s’agissait donc de tuer tout ce temps, d’exterminer toutes ces minutes de façon intelligente, susceptible de tromper mon impatience.

Bon, je visiterais la ville.

Je venais à Madrid pour la première fois… Les musées du Prado, (peinture) de l’Armeria (armures) sont réputés.

Certaines promenades, Puerta del Sol, salon du Prado, le Grand Parc, ont intéressé tous les voyageurs.

Le déjeuner et le dîner, en les pro-