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L’HOMME SANS VISAGE
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berg et celui de celle, qui avait été ma fiancée, allaient retourner à la terre l’un auprès de l’autre.

Les yeux bleus, hélas, ne sont que poussière. Tout ce que nous aimons doit réintégrer l’argile, avec laquelle une volonté infinie, divine ou matérielle, nous modela.

La découverte des deux morts dans les sous-sols de l’Armeria avait fait grand bruit. Les journaux s’étaient répandus en articles compendieux, sur l’étrangeté d’un crime inexplicable, et sur l’existence du conduit oublié, aboutissant au Puits du Maure.

Tout cela n’avait pu m’intéresser.

J’avais même retardé de vingt-quatre heures l’envoi au Times de la dépêche de sept mille trois cent trente-sept mots, qui me classa parmi les princes du grand reportage.

Que m’importaient la gloire, la réputation, les faits de la vie.

Je vivais, moi, avec le souvenir d’une morte, aux regards de pervenche, aux cheveux tressés de rayons de soleil pâle.

Et sous la nef de Santa Cruz, parmi la désespérance des chants funèbres, mes larmes tombaient une à une, chacune semblant être une parcelle de mon cœur.

Une main serra la mienne.

Je reconnus Concepcion… Elle était là, la bonne fille, avec son fiancé Marco, tous deux pleurant, désolés et excessifs, dans leur impuissance à rien faire avec la modération de nos races du Nord.

Ce qui me frappa, moi, c’est que ces deux fiancés vivaient l’un pour l’autre.

J’enviai le laquais, la fille de chambre, les futurs confiseurs du Prado.

Et peut-être, les braves gens devinèrent ce qui se passait en moi… Dans la douleur, il n’est plus de maîtres, de domestiques… Il ne reste que des êtres sortis d’une même souche… Tous les cœurs sont nobles pour souffrir. Oui, ils me devinèrent, Car ils s’éloignèrent sans bruit et se dissimulèrent derrière un pilier qui me les cacha entièrement.

Ah ! l’atroce cérémonie, puis la marche vers le cimetière, puis l’adieu à la tombe, gueule ouverte sur l’infini où disparaît à jamais ce qui fut la tendresse.

La foule s’était écoulée… J’étais toujours là. Soudain une main légère se posa sur mon bras.

Je sursautai, avec un regard interrogateur à qui troublait l’ultime dialogue avec ma Niète, ma petite engagée.

La « Tanagra » était devant moi. Sa beauté avait à cette heure quelque chose d’austère, d’immensément désespéré.

— Travaillez, me dit-elle, répétant sans le savoir la dernière parole que m’eût adressée X 323. Et croyez que tout est peut-être mieux ainsi.

Je pâlis à cette affirmation cruelle. Elle reprit vivement :

— Non, je ne suis point insensible… Je vous plains… Je la plains, elle aussi… Mais je sème en vous l’idée qui germera, car elle est vraie.

Et avec une autorité étrange, où je crus entendre sangloter tout le désespoir humain, elle me répéta la phrase découragée qu’elle m’avait jetée naguère comme adieu dans le salon de lecture de l’hôtel de la Paix :

— Patriotisme, dévouement, courage, amour, rien n’est compté aux espions et aux leurs, filles, femmes… elle soupira — ou sœurs… Ils sont espions et ce mot qui flagelle, les marque à jamais… Je sais bien, oui, le monde est injuste, mais il est tel.

Et s’éloignant doucement, elle redit :

— Tout est peut-être mieux ainsi.

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Tel est le récit de mon entrée en relations avec X 323. Prochainement, le Times aura la primeur de mes nouvelles relations avec lui. Je vous avertis, parce qu’avec le Times, universellement lu, on peut parler franc, sans être accusé de viser à la réclame.

Je suis devenu le « roi des interviewers mondiaux », mes articles ayant produit une sensation énorme ; car j’ai donné des détails ignorés de mes confrères les plus documentés.

J’ai même pu désigner la cachette,