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L’HOMME SANS VISAGE

« Ceci, non pour résister à vos souhaits, mais pour préciser la situation, et conserver à mon « Copie de lettres » la trace et la physionomie des faits.

« Votre serviteur obéissant,
« Signé : comte de Holsbein Litzberg. »

L’espion eut une aspiration profonde, et la face toute rayonnante d’une joie perfide.

— En écrivant ces lignes, j’étais sûr, qu’entre le moment où elles sortiraient de la Casa Avreda et celui où elles parviendraient à M. de Koeleritz, elles seraient passées, sous les yeux de X 323.

— Mais il sera à l’Armeria.

Le secrétaire formulait là ma pensée.

— J’y compte bien… Seulement, il croira me surprendre… et c’est moi qui le surprendrai… Cela établit une toute petite différence, qui lui coûtera la vie… Ah ! ce drôle abrite sa personnalité sous des lettres, des chiffres mystérieux X…, 323…, expressions mathématiques d’inconnues algébrique ou humaine… Je lui assurerai de plus, la formule de l’inconnue définitive…, le Zéro de la mort.

Eh ! eh ! acheva-t-il avec un ricanement sinistre, que dis-tu de l’équation du triomphe :



XX

HEURES TROUBLES


Je restais étourdi.

La combinaison qui venait de m’être révélée m’apparaissait devoir aboutir au succès.

X 323 non prévenu, donnerait tête baissée dans le piège à lui tendu.

Non prévenu… Eh ! by Heaven ! si je savais où le rencontrer, je le préviendrais, moi… c’eût été mon devoir strict d’Anglais loyal.

Mais où rencontrer ce personnage que l’on n’entrevoyait jamais, s’il ne le permettait point.

Et puis comment même reconnaître un homme qui n’a pas un visage habituel, auquel il soit possible d’attribuer son nom ou son pseudonyme ?

Est-ce qu’il allait être victime de ses précautions surhumaines ?

Serait-il un mort, parce qu’il lui avait plu de vivre Sans Visage ?

Par cette question intérieure, on voit que mon intérêt n’allait pas seulement au champion de l’Angleterre. L’homme lui-même en avait sa large part.

Je me sentais affectueux à l’égard du personnage mystérieux que je ne pouvais pas me vanter de connaître.

Vous avez tous éprouvé les souffrances d’amitié, l’inquiétude que cause la certitude qu’un ami fait une bêtise, s’enfonce dans une entreprise dangereuse ou compromettante, s’enlise dans des relations indignes de lui.

Je me trouvais dans cet état désagréable, pénible ; seulement ceci se compliquait pour moi de ce que ma sympathie n’avait possibilité de s’exprimer que dans le vide… Mon ami étant un véritable feu follet, un être insaisissable, un mythe.

Oh ! un ami Sans-Visage… Un ami que notre imagination nous montre mort, avec sur les épaules une tête à transformations, c’est, je le jure, une impression de folie… Il semble que les lobes du cerveau se craquèlent, se fêlent, se dissocient.

Je suis persuadé que, derrière mon buisson, je fus durant un bon moment, absolument privé de raison.

Comment ne me trahis-je pas par un mouvement intempestif ? Je l’ignore… Les fous ont des minutes de calme.

Et puis, je me retrouvai dans ma cachette avec ma lucidité renaissante… Ah ! ma raison revenait de loin. Un aérolithe vous tombant sur la tête doit produire des effets de même nature.

Le comte et son secrétaire causaient gaîment.

Ils se réjouissaient de l’issue probable de leur combinaison ; M. de Holsbein se rengorgeant sous les compliments sincères de son subordonné.

Et tout à coup, effet de réaction sans doute, luminosité succédant, par