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L’HOMME SANS VISAGE
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pour couler un regard par l’ouverture et… je grommelle :

— Il est dit que, dans cette maison, c’est toujours l’inexplicable qui se réalisera.

Ma réflexion vient de ce que j’ai reconnu la robuste stature de M. de Holsbein.

Le comte rentre chez lui par la porte de service ; quelle idée saugrenue.

Si encore la rue Zorilla constituait un raccourci, on comprendrait à la rigueur qu’il lui accordât la préférence.

Mais tel n’est pas le cas. C’est une ruelle d’accès difficile, qu’il faut chercher pour la découvrir. De quelque endroit que l’on arrive, son adoption se traduit par une perte de temps.

Et puis, à quelle singulière manœuvre se livre-t-il donc ?

Il s’est dirigé vers le pavillon bleu et argent. Il y a pénétré.

À travers les larges baies, je le vois arpenter les deux petites salles, fureter dans les recoins. Enfin, il sort, refermant derrière lui.

Ma parole, on croirait qu’il cherchait à acquérir la certitude que personne ne se cachait dans la légère construction.

En voici bien d’une autre. Il s’assoit sur le banc placé devant le kiosque, ce banc où j’ai presque porté Niète, dans cette nuit tragique et bienheureuse, où il m’a été donné de la voir pour la première fois.

Bon ! je lui parlerais aussi bien là qu’ailleurs.

Pour fixer une date, il est superflu d’avoir un plafond au-dessus de sa tête, n’est-ce pas ?

Je vais l’aborder et, si notre entretien n’est pas trop long (j’emploierai toute ma diplomatie à arriver à ce résultat), je pourrai peut-être encore joindre Niète au Parc, et lui annoncer le succès.

Voir le contentement rire dans ses yeux bleus ; pas de perspective plus adorable !

Seulement, c’est étonnant ce qu’il y a de seulement dans la vie d’un homme, fût-il anglais et reporter.

J’ai à peine décidé de m’approcher du comte, que j’en suis empêché.

La porte de service module de nouveau son petit grincement, et tourne sur ses gonds pour livrer passage au secrétaire de M. de Holsbein, à ce Wilhelm Bonn que l’on a si bien endormi dans le train de France.

Il va sans hésiter vers le comte.

Il savait donc le trouver là. C’est un rendez-vous évidemment… Et pour se réunir en ce coin reculé du jardin, ils ont donc à se communiquer des paroles trop graves pour être prononcées dans le cabinet de travail.

Le secrétaire s’arrête devant le comte, debout, en cette attitude raide, militaire, que les Allemands prennent toujours en présence d’un supérieur.

Que vont-ils comploter ? Est-ce qu’ils ne méditeraient point une perfidie contre Niète, contre moi-même ?

Je n’ai pas à me dissimuler que notre mariage ne ressemble en rien à ce que l’espion avait rêvé pour sa fille… Il est presque certain que ma venue fait tort à quelque plan ambitieux, échafaudé de longue date par ce père étrange et redoutable.

S’il en est ainsi, comment parer le coup, si j’ignore de quel côté on doit frapper ?

Conclusion : je me glisse le long de la rangée de lauriers roses, et par une marche oblique, je gagne un buisson tout proche des causeurs.

Et j’entends…

Si je n’avais pas entendu, mes larmes ne tomberaient pas en ce moment sur le papier où court ma plume.

Mais la fatalité, le fatum des anciens, le c’était écrit des musulmans, marche inexorable à nos côtés, et nos sens débiles ne nous permettent jamais de discerner le bruit de ses pas.

— Tu as porté la lettre à M. de Kœleritz, demanda M. de Holsbein ?

Comment la lettre ?

Il a écrit à M. de Kœleritz, chez qui il vient de déjeuner, Niète me l’a répété tout à l’heure encore.

Pourtant, cela doit être vrai. Il a réellement écrit, car Wilhelm Bonn répond :