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lui indiquerait que je venais de quitter Niète au bout du parc.

Je restai là, debout dans l’encadrement de la petite porte de service. Je suivais d’un regard attendri la silhouette gracieuse et chaste s’éloignant peu à peu.

Les deux promeneuses passèrent devant la maisonnette où avait eu lieu ma rencontre avec X 323. Elles foulèrent le trottoir à cet endroit qui, pour moi, conservait l’empreinte du domestique, stupéfié par la piqûre du curare.

Elles atteignirent l’angle de la rue et disparurent.

Je refermai la porte.

Mais quand la bien-aimée est absente, que faire si ce n’est songer à elle.

Et je demeurai planté comme un dieu terme, revivant, en face du pavillon, l’idylle douloureuse et exquise qui m’amenait à épouser la fille de l’espion.

Dans mon esprit passa la physionomie fugace, changeante de X 323. Je me surpris à murmurer :

— Il connaît certainement mon amour… Il doit être enchanté ; car, il ne m’a pas trompé ; il lui avait été pénible de désespérer Niète.

Je me mis à rire, en mesurant l’abîme creusé entre le Max Trelam d’aujourd’hui, et le Max Trelam qui avait quitté Londres un mois auparavant.

Ce Max Trelam-là avait représenté le Times parmi des révolutionnaires, des opprimés, des militaires, et il était tout imbu de préjugés à l’endroit des espions.

Un espion, à ses yeux, ne pouvait être que lâche, vil, cupide, sans une vertu, voire même une qualité.

L’excessif de l’appréciation, m’avait amené à ce contraire.

X 323 était nimbé d’une auréole, qui s’est accentuée du reste, à mesure que je l’ai connu davantage.

Et puis, un être vulgaire n’eût point obtenu l’alliance, le concours de la mystérieuse marquise de Almaceda.

Car, cela m’apparaissait évident, et pour cause, il eût fallu être obtus comme un angle de cent soixante dix-neuf degrés, pour en douter après l’aventure de la Chambre Rouge.

Que lui était-elle ? Dans sa rude et périlleuse existence, représentait-elle l’amitié ? représentait-elle l’amour ?

Dans mes questions, il y avait une petite anxiété.

La « Tanagra » possédait mon estime et je la souhaitais sans défaillance.

Puis, brusquement, changement à vue, dans ma cervelle.

La raison de ma présence dans ce jardin s’impose à ma pensée… Le comte de Holsbein doit me voir, m’entendre, m’exaucer.

Lui non plus n’est pas un espion banal.

Il m’a assommé, mais il m’accorde sa fille. Donc nous sommes quittes, et je le puis juger avec impartialité.

Il est brave, énergique, âpre à la tâche acceptée…

Cupide… ah oui ! Voilà sa tare, la cupidité… Et elle suffit à faire chanceler la foi en tous les sentiments que ses actes semblent démontrer.

Est-il patriote ?… Est-il épris du danger ? Ou n’est-ce qu’un de ces hommes aux dents longues, qui vont à l’argent, à la fortune, par toutes les voies ?

Bah ! il est le père de Niète, et c’est au père seul que j’ai affaire.

Regagnons la Casa ; peut-être est-il rentré.

J’ai fait le tiers du chemin, une rangée de lauriers-roses, où j’ai cueilli tout à l’heure une fleur tardive que ma bien-aimée a piquée à son corsage, me cache la petite porte de la rue Zorilla.

Mais les arbustes n’interceptent pas le son. Je perçois distinctement le grincement léger que produit la porte en s’ouvrant.

Mon cœur le connaît trop bien, ce bruit, pour que le témoignage de mes oreilles m’induise en erreur.

Niète se serait-elle ravisée ; reviendrait-elle déjà, ayant écourté sa promenade, dans l’inquiétude d’apprendre ce qui se serait passé entre son père et moi ?

J’écarte machinalement les feuilles