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L’HOMME SANS VISAGE

— Je n’avais pas la moindre intention de surveiller…

Il ne me laissa pas finir.

— Pourquoi, encore une fois, vous donner le mal de nier l’évidence ?

— Parce que l’évidence est contraire à la vérité.

— Allons donc !

— Je vous donne ma parole, commençai-je…

Il m’arrêta net.

— Vous oubliez, cher Meinher Max Trelam, que nous nous sommes rencontrés à l’Armeria.

Eh, pauvre moi ! Il avait raison… Il m’avait surpris là, en flagrant délit d’espionnage, et tout ce que je lui pourrais dire désormais ne le persuaderait pas.

Cette assurance que je fus obligé de me donner à moi-même, me déconcerta tellement, que je baissai la tête, me sentant incapable de formuler une objection quelconque.

La faiblesse des honnêtes gens, de conduite habituellement loyale, est d’être sans défense contre une accusation logiquement présentée.

La probité crée le devoir de constater la logique.

Et quand on a procédé naïvement à cette constatation, il devient impossible de se défendre contre l’accusation, car on est anesthésié en quelque sorte par le fait qu’étant logique, elle est vraisemblable, et que pour la plupart des gens, vraisemblance et vérité sont même chose, en dépit du proverbe si sage :

« Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable. »

Le triomphe de la calomnie, de la médisance, de toutes les vilenies, ne tient pas à une autre cause.

Des mensonges assemblés avec vraisemblance deviennent articles de foi pour les sots… Je ne parle pas des envieux malfaisants, car pour ceux-ci, la vraisemblance même n’est pas nécessaire.

Le comte se méprit sur la cause de mon silence.

— Nous sommes d’accord, reprit-il doucement en abaissant involontairement la voix… La visite de notre miquelet n’aura pas été mauvaise. Par son récit, vous avez pu juger que… vos amis m’enserrent dans un réseau d’espionnage, à travers les mailles duquel aucun des miens ne saurait passer.

J’inclinai le chef, enchanté de pouvoir approuver cette chose si agréable à mon cœur britannique.

— C’est votre avis, n’est-ce pas ?

— J’avoue, qu’en effet, il me semble…

— Parfait ! dès lors, croyez-vous indispensable d’avoir à demeure un surveillant de plus dans cette maison ?

— Avouez que ce surveillant, puisque vous tenez absolument à me flétrir de ce titre, ne vous a pas gêné beaucoup, ces jours derniers.

Il consentit à rire de ma proposition.

— J’avoue volontiers. Vous étiez malade. C’était très bien ainsi.

— Je vous remercie.

— Ne prenez pas la peine. Je continue. Maintenant vous êtes rétabli ; naturellement, un fiancé doit venir faire sa cour… Alors, vous serez sans cesse à la Casa Avreda.

— Ma foi, balbutiai-je, je pense cela beaucoup plus convenable pour me rencontrer avec Miss Niète.

Il fronça les sourcils, mais vite ce signe de ressentiment s’effaça.

— Précisément, je souhaite vous prier de cesser de voir Niète.

Je me levai tout droit :

— Ne plus la voir.

Mais cela, je ne le pourrais pas. Le col sous la hache, je ne promettrais pareille chose à personne.

Et il reprit avec une tristesse qui me toucha :

— Hier, j’ai causé avec l’enfant… J’ai compris qu’elle avait pris votre amour supposé au sérieux… Et en adversaire loyal, je vous demande de ne point entraîner ma chère petite au désespoir.

Maintenant, être séparée de vous, lui sera déjà une douleur ; mais avec des distractions, du mouvement, un long voyage, elle oubliera.