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L’HOMME SANS VISAGE
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le passionne, et non pas, l’attention de l’oreille qui lui est totalement indifférente.


XVII

QUELQUES JOURS IDYLLIQUES


Le comte me regarda.

Je regardai le comte.

— Eh bien, fit-il carrément. Le filet est bien tendu autour de la Casa Avreda. Je voulais en être certain. Je le suis à présent.

Je n’avais pas à répondre… Ces paroles ne me touchaient pas directement.

Je concevais qu’elles passaient par-dessus ma tête, qu’elles allaient à l’insaisissable et infatigable X 323, auquel j’avais attribué sans hésitation la mésaventure de ce Wilhelm Bonn, secrétaire de M. de Holsbein.

Vraisemblablement le comte se fit une réflexion de même ordre, car il reprit place à son bureau et la voix changée :

— Reprenons là où cet imbécile nous a interrompus.

Je consentis d’un signe de tête.

— Bien, continua-t-il… Je venais de rendre justice à vos qualités réelles, Monsieur Max Trelam, et j’allais arriver à cette conclusion. Intelligent et brave, il doit vous répugner de faire souffrir une enfant innocente.

J’eus un petit sursaut.

Si je m’attendais à celle-là, par exemple !

— Je parle de Niète, poursuivit le comte, dont l’organe se voila… je ne veux pas qu’elle souffre.

— Et où prenez-vous que je la ferais souffrir ?

— Dans ceci. Vous ne l’aimez pas.

— Hein ?

— Vous ne pouvez pas l’aimer, accentua-t-il avec plus de force.

Ah ! oui il m’agaçait. De quel droit cet homme de ruse nie-t-il mon amour. Ne pas pouvoir aimer Miss Niète, père aveugle, tu n’as donc pas regardé la divine mignonne.

Vraiment, certains pères sont atteints d’une incurable cécité à l’égard des charmes de leurs filles.

Et haussant les épaules, je m’accuse de ce mouvement blâmable, mais je ne le pus réprimer, je persiflai :

— Alors, cher Monsieur, je vous serais obligé de me faire connaître dans quel but j’ai sollicité la main de la chère enfant.

Il fit entendre un grondement sourd, peut-être ceci trahissait-il un sanglot intérieur. Il répondit cependant en hésitant :

— Niète avait dû vous dire… vous laisser entrevoir que je ne me reconnais pas le droit d’influencer son choix… Le bonheur de l’un ne serait souvent pas le bonheur de l’autre, et alors vous vous êtes décidé à demander sa main…

— Parce que je l’aime…

— Non, parce que vous pensiez avec raison que j’autoriserais votre cour en vertu de mon affirmation d’être respectueux du choix de Niète… ; ceci vous assurait l’entrée de ma maison ; la possibilité sous un prétexte plausible, de surveiller mes actions.

Cela y était. Il m’appelait nettement espion.

— Permettez…

— À quoi bon des protestations… Je ne vous accuse pas de cela. La guerre est un assaut de ruses… Il faut atteindre à tout prix un but déterminé… Moi-même, j’aurais réservé ma réponse si j’avais pensé alors… Mais je croyais que, dès le lendemain, plus rien ne serait intéressant à surveiller ici… Et je m’amusais, je l’avoue, à l’idée de vous accorder toutes facilités d’inspecter une maison où il ne se passerait plus rien.

Décidément, dans le Parc de Madrid, avant la malencontreuse expédition au Puits du Maure, je n’avais pas trop mal deviné les sentiments de mon interlocuteur.

Par malheur, ses paroles ne m’impressionnaient pas suffisamment, alors que, d’après lui, j’eusse dû en ressentir une surprise violente, il en résulta que je protestai, avec une froideur relative :