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L’HOMME SANS VISAGE
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— Mais si, mais si, vous avez tort de protester contre l’évidence.

— L’évidence n’est point évidente pour mon intellect.

— Mais si, vous allez être de mon avis. Nous nous rencontrons à l’Armeria. Avant même d’avoir échangé une parole, nous savions qu’en archéologie, nous représentions deux écoles rivales.

Ceci, je ne pouvais le nier. J’acquiesçai d’un signe de tête. Le geste lui sembla suffisant, car il continua paisiblement :

— Un choc était inévitable ; il fallait, suivant l’expression maritime, être abordeur ou abordé. Vous-même, je pense, agitiez des pensées de cet ordre, quand, je m’en excuse, j’allai un peu plus vite que vous.

Ah ! qu’en termes galants ces choses étaient dites.

Vraiment, le crime perd toute son horreur quand il est exprimé ainsi.

Aller un peu plus vite que moi, délicieux euphémisme pour énoncer que j’avais été assommé, et que mon interlocuteur sans doute ressentait un certain mécompte à constater qu’il ne m’avait pas plus assommé que cela.

— Soit ! j’admets tout ce qu’il vous conviendra. Mais, je vous avoue en toute franchise, que je ne perçois pas du tout vers quel but tend ce préambule… De l’esprit, des mots heureux, mais pas d’indication nette.

— Nous y arrivons, fit-il plus gravement, nous y arrivons.

Mais au moment où il ouvrait la bouche pour reprendre le fil de son discours, la porte s’ouvrit brusquement.

Un laquais parut, et comme le comte s’exclamait d’un ton de mauvaise humeur :

— J’avais ordonné que l’on ne me dérangeât pas…

Le domestique répliqua :

— On aurait observé comme toujours les ordres de Monsieur le comte ; mais un lieutenant de miquelets est là… il désire voir Monsieur le comte, à qui il a à transmettre une communication de l’Administration.

Nous sursautâmes tous deux.

Les sourcils de M. de Holsbein s’étaient contractés… Une même pensée avait rebondi sous nos deux crânes.

Sa qualité d’espion avait-elle été révélée à l’Administration ?

Cependant, il se domina et congédia le laquais par ces mots :

— C’est bien. Veuillez conduire ici cet officier de miquelets.

Je crus devoir me lever et me retirer, mais le comte me retint.

— À quoi bon. Je n’ai plus rien à vous cacher maintenant. Ce brave militaire ne vous apprendra rien que vous ne sachiez déjà.

— Votre confiance m’est agréable, mais…

Il m’interrompit sans façon :

— Ma confiance ?… Allons, ne vous gaussez pas de moi à votre tour… Ma confiance !… Nous n’avons pas fini de causer, voilà tout.

Le laquais reparaissait, s’effaçant pour laisser passer l’officier de miquelets avec, ce qui caractérise l’uniforme de cette troupe spéciale, ses gants verts.


XVI

LE MIQUELET


Pas mal du tout, ce lieutenant, en dépit de son titre de miquelet, qui porte à rire, quand on a vu défiler les troupes appartenant à cette arme.

Vingt-sept ou vingt-huit ans, le visage régulier, la taille peu élevée, mais cependant un peu supérieure à la moyenne espagnole, il se présenta fort convenablement.

— Monsieur le comte de Holsbein m’excusera ; mais un ordre de l’Administration m’obligeait à insister pour être introduit en sa présence.

— Ne vous excusez pas, lieutenant… et venez au fait, je vous prie.

L’officier me regarda du coin de l’œil, semblant se demander s’il pouvait exposer son message en ma présence.

— Monsieur est un autre moi-même,