Page:Ivoi - L’Aéroplane fantôme.djvu/91

Cette page a été validée par deux contributeurs.
85
LE VOLEUR DE PENSÉE.

Et puis, son souci du lucre aidant, il pense qu’il serait bon de s’assurer des relations futures avec le « neveu de la grande quincaillerie de Charleston ».

On dirait que Tril lit dans sa pensée. Voilà qu’il murmure :

— Oh ! prendre un grog-whisky tout seul, cela est tout à fait détestable.

— Pourquoi cette observation, juste en soi ? s’exclame l’Allemand.

— Parce que je songeais : je prendrais bien un grog, et causerais volontiers un instant avant d’aller au lit. Je dois partir demain de grand matin mais cependant, je n’ai pas le sommeil des poules.

Heureuse idée. Elle fournit l’occasion demandée tout bas par l’Allemand aux dieux protecteurs du négoce.

Von Karch propose aimablement de recevoir l’Américain dans l’appartement qu’il occupe à l’hôtel. On pourrait causer d’affaires éventuelles, tout en se désaltérant.

Tril, avec la rondeur américaine, accepte sans se faire prier.

Tous deux, précédés de Margarèthe, gagnent l’appartement situe au premier étage, non sans avoir ordonné à un garçon de monter tout ce qui est nécessaire à la confection d’une mixture savante : whisky, citrons, sucre, soda-water.

Et tandis que le serviteur s’empresse, dispose sur le guéridon du « salon » qui sépare les chambres à coucher du père et de la fille, les assiettes, gobelets, flacons, sucrier, soucoupe, Margarèthe se laisse tomber dans un fauteuil ; elle a un bâillement qu’elle s’efforce en vain de dissimuler ; elle murmure d’une voix endormie :

— C’est étonnant comme je me sens lasse ce soir.

Et, avec un regard d’intelligence à son père :

— Sans doute, notre longue station là-bas. Un courant d’air. J’aurai certainement pris froid.

— Le grog vous remettra, ma chérie, riposte l’Allemand, qui, cela est indubitable, se sent fatigué, lui aussi, car il s’allonge sur un canapé, laissant à son « invité » le soin de préparer la boisson nationale des Anglo-saxons.

Mais Tril est de bonne composition.

Il dose méticuleusement les divers ingrédients qui doivent constituer un grog « céleste », c’est là un travail délicat, méthodique, lequel demande dix bonnes minutes.

Enfin, il se retourne, lançant d’un ton triomphant :

— Je recommande le mélange. C’est le mélange de Charleston, nulle part on ne prépare breuvage aussi enchanteur.