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LE VOLEUR DE PENSÉE.

Ces explications appuyées par sa mise élégante, la présentation avec une aristocratique négligence d’un portefeuille capitonné de bank-notes, furent admises sans discussion par le directeur de la maison.

Le yachtman déclara qu’il prendrait son dîner à l’hôtel, et, comme conséquence de cette décision, il voulut visiter la salle à manger. Là, il glissa la pièce à un serveur, lequel, en réplique à ce geste monnayé, lui apprit qu’une petite table se trouvait libre devant l’une des fenêtres donnant sur le quai. Les hôtes des tables voisines ne gêneraient pas le jeune gentleman ; c’étaient, d’un côté, deux vieilles demoiselles de province ; de l’autre, un mein herr allemand et sa fille, une jolie personne, en vérité.

Tril écouta tout cela avec la plus parfaite indifférence, bien que ses questions aidassent le domestique à le bien renseigner. Puis, sa table réservée, il monta s’enfermer dans sa chambre. Toutefois, vers sept heures, avant même que la cloche appelât les voyageurs au supper (souper), il reparut dans la salle à manger, s’arrêta un instant auprès de la table que devaient occuper les Allemands.

Déjà la double pinte d’ale mousseux était posée sur la nappe. Prestement le gamin versa dans le récipient le contenu d’un petit flacon de verre qui rentra aussitôt dans sa poche, puis il alla prendre place et s’absorba dans la contemplation du spectacle mouvementé que lui donnaient les quais, le cours de la Tamise et le pont de Blackfriars.

Teufel !

— Très curieux !

Ces exclamations, prononcées à demi-voix, ne tirent pas le jeune Américain de sa contemplation.

Il ne parait pas remarquer Von Karch, Margarèthe, debout à l’entrée du dining-room, qui expriment ainsi leur surprise de retrouver en cet endroit le yachtman aperçu à Newgate.

Teufel ! répéta joyeusement l’Allemand, ce garçon nous dévoilera ce que nous voulons savoir, ou j’y perdrai mon nom.

Mais Von Karch n’a pas besoin de perdre son nom harmonieux ; tout s’arrange au gré de ses désirs.

À peine le repas est-il commencé que Tril s’aperçoit que la ravigoting sauce (ainsi que les Anglais ayant vécu à Paris désignent familièrement les mixtures épicées dont ils assaisonnent les mets), ne figure pas sur sa petite table.

Les serveurs sont occupés à l’autre bout de la salle, et l’Américain se décide à faire appel à la courtoisie de ses voisins, dont le service est plus complet que le sien.