— Grâce à cela, Ketty ne serait pas expulsée demain.
— Ketty ?
Joé avait tressailli. Le jeune Américain s’empressa de s’expliquer :
— Nous sommes Américains, pour vingt-quatre heures à Londres, obligés de partir demain. Il nous plairait de voir le criminel célèbre dont toutes les feuilles s’occupent, l’ « Ingénieur français ».
— Pas criminel, accusé seulement, protesta Joé. Il sera sûrement condamné à cause des preuves ; et moi, moi qui le garde, je pense qu’il est innocent. Oh ! je sais bien, le nuage qui passe et mon avis ont la même importance, mais enfin, j’ai mon avis.
— C’est votre droit, boy ; pour en revenir à mon désir, je sais qu’il est trop tard. Seulement, j’ai entendu votre conversation avec Ketty, je sais que le souverain vous ferait plaisir, et comme il nous serait agréable de voir le prisonnier, nous pourrions peut-être nous entendre.
Bigre, la proposition était tentante ; mais le moyen de tromper la vigilance de Kopling Bilbard ? L’invalide ne consentirait jamais à permettre une violation du règlement ; et cependant, laisser échapper une occasion pareille ; vingt-cinq francs pour une idée folle de touristes, cela n’était pas possible. Et Joé se grattait désespérément la tête, ne réussissant, hélas, qu’à donner à son chapeau haut de forme une inclinaison marquée.
Pour comble de malheur, Kopling reparut, un énorme trousseau de clefs brimballant au bout de son unique bras.
— Eh bien, Joé, quand vous aurez fini vos meetings en plein air ?
Un instant encore, tout serait perdu, la lourde porte de Newgate se fermerait, séparant Joë du souverain qui assurerait le salut de Ketty. L’imminence du danger exacerba l’intelligence du gamin.
Il empoigna les clefs, et, avec l’audace du désespoir :
— Ces gentleman et lady font une visite dans le quartier ; leur watman est votre ami Tomson… Il n’a pas voulu venir avec son automobile jusqu’à la porte pour ne pas vous attirer d’ennuis ; mais il vous attend au bar Stills, dans Ludgate, pour le verre de l’amitié.
— Oh ! digne Tomson, s’exclama le gardien en chef, et longue vie au gentleman et à la jeune lady, qui se sont dérangés pour réunir deux amis.
Puis, vite, en homme qui sait qu’un verre perdu ne se rattrape pas :
— Vous allez ramener au dehors les visiteurs, n’est-ce pas ? Je compte sur votre intelligence pour hâter leur départ. Les gens, en vérité, sont incompréhensibles. Le plaisir de bavarder avec des criminels, voilà ce que je ne concevrai jamais, alors surtout que l’on a à portée de la main de braves