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L’AÉROPLANE-FANTÔME

ennuis aussi, elle, son fiancé ; mais bah ! je crois son cœur en velours. Elle est si riche, et c’est si peu ; venez par ici demain, voulez-vous ?

Elle le considéra avec une reconnaissance attendrie.

— Je viendrai. Si vous ne réussissez pas, ne regrettez pas de m’avoir dérangée, je suis si contente quand je vous vois.

Et tous deux demeurèrent muets, les regards unis, une confiance très douce les plongeant dans une sorte d’extase tendre.

Une grosse voix les arracha à cette contemplation affectueuse.

— Joé. Je rentre décrocher le trousseau ; venez prendre les clefs, il est l’heure.

— On y va, jeta le gamin au vétéran, qui, chargé de son banc, disparaissait sous la voûte sombre de la prison.

Puis, vivement :

— À demain matin, Ketty, n’oubliez pas.

— Oh ! murmura-t-elle, d’un accent profond, un accent de femme où l’on sentait combien les douleurs avaient vieilli le cœur de cette fillette, je ne puis pas oublier.

Jusqu’à la porte de Newgate, ils marchèrent côte à côte. Là, ils se séparèrent, Ketty continuant par la rue portant le nom de la maison de détention. La fillette allait tenter de vendre ses derniers bouquets, tout en regagnant, par un long détour, son taudis de la pauvre ruelle de Chipley, située sur l’autre rive de la Tamise, en arrière des docks.

Lui resta planté sur ses jambes, la suivant de l’œil.

Quand elle eut disparu à l’angle de la rue, il grommela :

— Pauvre Ketty ! Ah ! Si je pouvais gagner un peu d’argent !

À de certaines heures, la vie se complaît aux coïncidences féeriques…

Il finissait à peine sa phrase, que quelqu’un lui touchait le bras, et qu’une voix jeune prononçait ces paroles :

— Boy ! Voulez-vous gagner un souverain ? (25 francs).

Cela répondait si précisément à sa pensée, que Joé sursauta. Il se tourna tout d’une pièce dans la direction de la voix, et il se trouva en présence des deux jeunes passagers de l’automobile, qui, tout à l’heure, avait suivi le motor-cab de Von Karch. Le costume élégant de ses interlocuteurs, leur jeunesse (ils n’étaient guère plus âgés que lui-même), le prévinrent aussitôt en leur faveur, et franchement il répondit :

— Il est sûr qu’un souverain est toujours bien placé dans la poche et dans le cœur d’un loyal Anglais.

Tril daigna sourire du calembour.