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L’AÉROPLANE-FANTÔME

— Joé, fit-il sévèrement, vous me manquez de respect.

— Pardon ! je vous marque mon respect, au contraire.

— Voilà qui est fort !

— Si c’est fort, vous en avez tout l’honneur, car c’est vous-même qui me l’avez enseigné.

— Moi !

— Vous, en personne naturelle ! Hier, ne récitiez-vous pas des strophes, de notre grand poète Milton ?

Et Kopling, écarquillant les yeux, ahuri de voir Milton mêlé à cette affaire :

— Vous m’avez dit : « C’est un témoignage de mon admiration pour ce grand homme ! »

— Évidemment ! mais quel rapport ?

— Comment ! vous ne voyez pas ? C’est pourtant clair. Je répète votre conversation. C’est un tribut d’admiration que je paie, tout comme vous-même à l’égard de Milton.

Avant que Kopling fut revenu de la stupeur provoquée par cette affirmation bizarre, Joé Fairlane s’était dressé, une lueur joyeuse dans les yeux.

— Eh ! voici Ketty !

En effet, venant de la direction de Ludgate-Hill, une fillette se montrait.

C’était une de ces petites bouquetières londoniennes, portant comme un uniforme la robe de cotonnade blanche, semée de fleurettes imprimées, le fichu bleu, découpant sa pointe azurée sur le corsage.

Comme toutes ses congénères, elle était pâle, maigre, avec des cheveux d’un blond lavé, des yeux meurtris et tristes, dont l’iris découpait son disque à peine coloré de bleu au milieu de la cornée opaque, moirée de reflets de nacre.

Il y a une tristesse sur ces enfants de la misère, pauvres petites fleurettes étiolées par l’atmosphère viciée de la grande ville, et qui semblent avoir donné leur fraîcheur, leur jeunesse, aux fleurs brillantes disposées sur le minuscule éventaire qu’elles portent devant elles, au moyen d’une cordelette passée au cou.

Et cependant celle-ci souriait en pressant le pas. Dans ce grand Londres où elle errait tout le jour, se sentant isolée, faible, perdue, la porte de la prison de Newgate lui apparaissait, ironie des choses, comme l’entrée du ciel. Là, elle avait un ami… Joé !

L’orphelin et la pauvre mignonne s’étaient reconnus frères de malheur et,