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LE VOLEUR DE PENSÉE.

— Sur ce, j’ai d’autres « souffrants » à voir ce soir ; je vous laisse. Nous sommes bien d’accord, n’est-ce pas ?

— Le moyen de faire autrement, avec une bienveillance telle que la vôtre.

— Là ! là ! Plus de grands mots entre nous. Remettez de l’ordre dans votre esprit. Ayez confiance. Vous êtes au terme de l’adversité. Au revoir, ami Tiral, au revoir.

Il s’approcha de Liesel, toujours absorbée par son rêve dément, et lui caressant paternellement les cheveux :

— Et vous aussi, petite frau Liesel, au revoir. Nous rendrons le sourire à votre jolie bouche, l’éclat à vos grands yeux de gazelle, et votre bon papa vous couvrira de diamants, ce qui, quoiqu’on en dise, constitue une parure tout aussi agréable que les fleurs des champs.

Étrange ! On eût dit qu’un sourire ironique contractait les lèvres de la créole. Sans doute, il n’y avait là qu’une apparence. Le sourire s’évanouit aussi vite que s’éteint l’éclair illuminant la nue. Derechef, Von Karch, secoua la main du comptable, et s’étant enfin débarrassé du bonhomme, il empoigna nerveusement le bras de Margarèthe, qu’il entraîna dans l’escalier.

Ils arrivèrent sur le trottoir où stationnait toujours le motor-cab qui les avait amenés. L’Allemand poussa sa fille dans la voiture, y prit place après avoir murmuré au watman :

— À l’extrémité d’Holborn Viaduct (viaduc d’Holborn), en face de la prison de Newgate.

Il ne remarqua pas qu’au moment où le motor-cab se mettait en marche, une automobile stationnée à quelque distance démarrait également, réglant sa vitesse sur le véhicule des Allemands.

Eût-il remarqué cette voiture d’ailleurs, qu’un simple coup d’œil aux voyageurs qui en occupaient l’intérieur, l’eût empêché d’arrêter son attention sur ceux-ci. Que pouvait-il craindre de ces deux adolescents, presque des enfants, un garçon d’environ seize ans, une fillette un peu plus jeune ; lui, de taille moyenne, bien découplé, la figure rieuse et ouverte ; elle, petite, brune, non pas chétive, mais menue ; les traits irréguliers, mais charmants, avec de grands yeux noirs bleus, lumineux et limpides.

Au surplus, ce devaient être des étrangers. Leurs costumes de voyage décelaient une origine américaine. Le garçon portait un complet yachting ; vareuse à boutons d’or, pantalon de flanelle grisâtre, casquette marine. Sa compagne, elle, apparaissait mignonne et gracieuse sous le petit saute-en-barque blanc aux boutons bleus, sous la trotteuse très courte laissant apercevoir les chevilles fines, le pied cambré en d’élégants brodequins de cuir